jeudi 26 juillet 2007

Une recherche de logement ordinaire a Idjevan

MI-JUILLET 2007

Ma recherche d’appartement a vraiment eu un coup de pouce lorsque j’ai faite la rencontre de Khatchik. Il devait me donner une lettre que je devais transmettre à une connaissance commune à Erevan. Aussitôt, sans avoir prononcé un mot, il me dit : « Vous recherchez un appartement ? Je vais vous aider. » Je me suis alors sentie envahie par un sentiment de reconnaissance pour Nvard, qui avait du lui parler de mon problème lorsqu’elle lui avait demandé de me rencontrer. En réalité, Nvard n’est absolument pas à l’origine de cette initiative. Lorsqu’elle l’a appelé, Khatchik lui a demandé : « Marie ? C’est cette fille qui recherche un appartement ? » - « Comment tu le sais ? », a demandé Nvard incrédule. – « Tout se sait à Idjevan. » Le pire, c’est qu’il ne vit même pas à Idjevan mais dans un village juste à coté. Cela me fait l’effet d’être entourée de psychomaniaques en puissance.

Le lendemain, Khatchik me téléphone et, très fier, m’annonce qu’il a trouvé quelque chose pour moi. Nous nous rendons dans une maison chez l’habitant, tout ce que je ne voulais surtout pas. La maison est pas mal mais le prix est élevé. Khatchik me dit qu’il veut me trouver un logement convenable pour 30 000 Drames, pas plus. Sur mon insistance à loger dans un appartement, il me conduit chez des gens possédant un appartement qui est vraiment très mignon mais pas de chance, il n’y a pas le gaz et l’argent manque pour faire les travaux. Je proposerai bien d’avancer plusieurs loyers pour qu’ils fassent les travaux mais, d’après mon peu d’expérience, j’ai peur que les travaux ne soient pas commencés lorsque je retournerai en France. En attendant, nous sommes kidnappés par les voisins de ce propriétaire – qui sont par ailleurs ses amis – pour le déjeuner. Le repas commence dans une certaine gêne ou chacun s’observe pour finir dans une grande gaîté causée principalement par les nombreux toasts dédiés à l’amitié franco-arménienne. Les voisins ont entre temps téléphoné à leur nièce pour qu’elle prenne sa pause déjeuner avec nous car elle est diplômée de la faculté de langues étrangères et parle parfaitement français.

Puis, le propriétaire de l’appartement que nous avions visité me propose d’aller voir sa maison car il y a plusieurs lits et il peut m’héberger sans problème. Toute la petite troupe des voisins nous accompagne. Là, fatigués par la cote, le soleil de l’après-midi et la vodka, les hommes tombent sur les chaises avancées par la maîtresse de maison. Khatchik me demande si je veux qu’il m’accompagne pour la visite de la maison mais je vois bien que cela serait cruel de le faire lever de sa chaise. Après l'inspection des lieux, la maîtresse de maison couvre la table de multiples mets et pour la seconde fois nous festoyons avec la vodka bien sur et les voisins, qui ne sont plus tellement les voisins d’un strict point de vue sémantique. Onik, le maître de maison commence à me raconter sa vie, me dit qu’il a 4 filles mais que avec sa troisième femme ici présente, il n’a pas d’enfant. Sa femme crie de la cuisine, une oreille toujours attentive : « Qu’est-ce que tu vas raconter notre vie privée ? ». Puis les toasts se suivent sans se ressembler, Khatchik a de plus en plus de mal à articuler, les toasts sont de plus en plus longs. Mais je ne m’en plains pas, cela me laisse du répit. J’ai juste peur de m’endormir par l’effet conjugué de la vodka et de la voix berçante de Khatchik. Personne ne l’écoute sauf moi (en réalité je n’écoute que sa voix car j’ai renoncé depuis quelque temps à trouver du sens à ses paroles) et trois conversations ont lieu en même temps. Les convives autour de la table se serrent la main ou font passer les plats devant le visage de Khatchik me le cachant, mais lui, imperturbable comme si rien autour de lui n’existait, continue sa mélopée. « Tu es mon sœur ! Euh, ma sœur. » Puis, un des voisins me confie que d’habitude il ne boit pas mais qu’aujourd’hui c’est un jour spéciale. Et il balance ses mains, claque des doigts et émet un sifflement comme s’il voulait danser sur la musique arménienne qui passe en ce moment à la radio. A ce moment, sa femme restée à la maison appelle pour savoir ce qu’il peut bien foutre. Onik me répète alors pour la dixième fois que je suis toujours la bienvenue, même si je n’habite pas chez eux, car l’argent n’a pas d’importance et que j’aurais une amie en la personne de sa femme. Sa femme s’énerve : « Tu as fini, oui ? Tu vas pas le répéter des milliers de fois !! » Le voisin « danseur » porte alors un toast à Margaretta, la maîtresse de maison, qui est aussi sa sœur. J’admire la patience et la compréhension des femmes arméniennes qui, seules personnes de l’assemblée à ne pas avoir bu, supporte des heures durant les élucubrations et les discours dépourvus de sens de ces frères, oncles et maris.

L’heure du départ sonne. Moi qui pensais que cette petite visite allait prendre 15 ou 20 minutes, je me suis bien fait attraper car 5 heures se sont écoulées. Le voisin « dansant » veut qu’on continue la journée dans un café mais j’ai la force de refuser. J’ai des choses à faire quand même !

La semaine suivante, Khatchik appelle à nouveau. Il a trouvé une autre maison avec habitant. Il n’a décidément pas compris que je préférai un appartement. Mais bon, on y va. Nous partons en voiture avec deux autres messieurs que je ne connais pas. Je lui dis que j’ai sans doute trouvé un appartement. « Qui te l’a trouvé ? », demande Khatchik d’un œil jaloux, comme s’il voulait être mon seul bienfaiteur et fournisseur de logement. Nous arrivons dans une maison magnifique, genre chambre d’hôte. Je savais qu’il existait des maisons comme ça qui accueillait des touristes mais j’avais quand même du mal à imaginer cela à Idjevan. La maîtresse de maison est très gentille, la maison coquette. Dans la cuisine, elle fait pousser une petite bibliothèque sur elle-même comme dans les films d’espionnage et j’aperçois derrière une salle, genre cave de La grande vadrouille ou Louis de Funès égorge son cochon pour le vendre après au marché noir. Toutes les maisons arméniennes en sont équipées et c’est là ou l’on fait les confitures, les conserves pour supporter le long hiver, que l’on dépèce les animaux pour en faire des brochettes. C’est là également que l’on prépare le coq des matar. Puis, nous allons nous asseoir dans le jardin pour boire le café. A la question du prix, ils me répondent qu’ils ne savent pas et que je peux même y vivre gratuitement. Cela sent l’arnaque mais je n’arrive pas à débusquer le lièvre. Ils ont trois adorables chats, ce qui est pour moi un critère très positif dans l’opinion que je me forge des gens. Mais je sais bien qu’il n’est pas infaillible. Et ils soignent un hérisson qu’ils ont trouvé blessé dans leur jardin. « S’il était arrivé dans un autre jardin, les gens l’auraient jeté, mais pas nous. C’est Dieu sans doute qui l’a mené jusqu’à chez nous parce qu’il savait qu’on s’en occuperait. » Bref, tout est idyllique chez ces gens. Ca y est, j’ai trouvé !!! Je ne peux pas en être sure à cent pour cent mais je crois bien que son fils a des visées sur moi. Juste comme Française. Petit à petit la discussion débouche sur la question rituelle de est-ce que je pourrais vivre en Arménie et me marier ici. Je leur explique alors que c’est impossible, «chez nous» l’homme aide la femme. « Et seulement pour ça ? », éclate de rire le fils. J’explique patiemment que « chez nous » l’homme cuisine pas seulement parce qu’il faut mais aussi parce qu’il aime faire la cuisine. (Enfin, certains). Je sens le regard dubitatif de Khatchik. Puis, il me sort : « Bien sur, moi comme tu me vois, tous les soirs, je fais la vaisselle et je repasse. » Et il éclate de rire. « Si vous riez comme ça, c’est que vous ne devez pas le faire souvent. » Le fils me répond à son tour : « Bien sur, moi, je sais cuisiner. Lorsque j’étais étudiant à Erevan, je faisais ma cuisine tout seul. Et si ma femme est malade, je peux lui faire la cuisine. » - « Oui, mais chez nous, le mari fait la cuisine pas seulement lorsque la femme est malade. » Silence. Je me sens protégée par une immunité en posant comme condition préalable au mariage, la participation à 50% aux taches ménagères de mon futur mari. La mère me demande alors si j'aime les framboises et sur ma réponse positive demande à son fils de m'en apporter. Le fils rechigne, ne veut pas se lever. Sa mère réplique alors : «Marie a dit que les hommes devaient aider.» La formule magique a été prononcée et le fils, bien que maugréant, se lève finalement et apporte les framboises récoltées du jardin.

J'ai finalement trouvé un appartement meublé et qui était pourvu du minimum vital pour vivre dans des conditions «normales». Mais ce n'est malheureusement pas grâce à Khatchik et je le sens désappointé. L'appartement est situé en centre ville, juste derrière l'université. Je n'ai pas l'eau chaude car apparemment la compagnie des eaux ne sait pas que quelqu'un vit dans cet appartement, ce qui permet à la propriétaire de ne pas payer pour la consommation d'eau froide. Mais ce n'est pas très grave, je fais chauffer l'eau de ma douche. Nous sommes en été et cela ne pose pas de problème. Par contre, je n'ose pas imaginer comment cela se passe l'hiver. J'ai un frigo mais la proprio ne le branche pas, je ne sais pour quelle raison. Du coup, je l'utilise simplement comme garde-manger et j'apprends à faire comme une bonne partie des Arméniens, sans frigo. Je fais mes courses seulement pour quelques jours et je cuisine tout de suite les aliments qui ont besoin de l'être. Je n'ai pas de machine à laver et curiosité architecturale de l'appartement, les fenêtres du balcon ont été installées à même la façade en ciment, laissant un écart de 10 à 15 centimètres entre la façade et les fenêtres. Mais je m'estime incroyablement chanceuse car j'ai le gaz, un fer à repasser, un four tout neuf, une stéréo, une télé, un dvd, un téléphone et l'eau courante dans les toilettes 24 heures sur 24, ce qui me dispense de verser un seau d'eau dans la cuve des WC pour remplacer la chasse d'eau inexistante. En outre, l'eau courante des toilettes est aussi forte que le bruit d'une cascade et lorsque je suis le soir dans mon lit elle me berce et m'aide à m'endormir. Nous avons maintenant emménagé depuis une semaine avec Anoush et nous allons faire une pendaison de crémaillère, chose nouvelle pour Anoush. Malheureusement tous nos invités sont pratiquement des étrangers, nos amis arméniens étant soit en couple et trop occupés par les taches ménagères, soit pas encore mariés mais ne vivant pas à Idjevan même et trop timides pour être à l'aise au milieu de plein d'étrangers.

Marie

Kvartal'nyi vopros (probleme de logement)

FIN JUIN 2007

Il semble qu’il y ait une conjoncture spécifique qui se soit abattue sur Idjevan car nous sommes plusieurs à avoir des problèmes de logement.

Laura, une volontaire américaine d’origine arménienne, a changé de famille d’accueil car après quatre mois de vie avec eux, elle désirait posséder une porte à sa chambre afin d’avoir un début d’intimité.

Quant à moi, ma famille d’accueil m’a proposé de dormir ailleurs car la grand-mère est très mal. J’ai accepté, pas tellement à cause de la grand-mère, mais parce que l’atmosphère est vraiment tendue et cela me fait mal au cœur de voir qu’ils continuent de servir de la crème glacée à la grand-mère alors qu’elle souffre beaucoup de sa jambe. J’ai trouvé refuge chez Anoush, une arménienne de Dilidjan mais qui travaille à Idjevan. Elle a trente ans et révolutionne la vie de quartier d’Idjevan car elle loue un appartement seule et n’est toujours pas mariée (mais avais-je besoin de vous le préciser ?). Elle a fait ses études à Erevan et fait partie de la nouvelle génération qui a bien du mal à vivre en province à cause de la mentalité à l’ancienne et est dégoûtée de la corruption et du népotisme ambiants qui plombent selon elle toute velléité de développement.

Pas de chance pour moi car la propriétaire de Anoush est revenue de Moscou pour enterrer sa mère et a donné deux jours à Anoush pour quitter les lieux car son fils va se marier, parait-il, et s’installer à Idjevan. Cela après deux semaines ou la proprio a squatté l’appartement d’Anoush, sans comprendre qu’elle n’était plus chez elle puisque Anoush lui payait un loyer.

Bien sur, je n’en ai rien dit à mon ancienne famille d’accueil qui se serait tout de suite inquiétée et aurait donné dix mille coups de téléphone pour me reloger. En effet, après avoir goûté à la quiétude de l’appartement d’Anoush, j’ai décidé que je ne survivrai pas à une seconde famille d’accueil arménienne et que j’allais trouver un appartement pour Anoush et moi, et ne venir dans ma famille d’accueil qu’en visite, de temps en temps, et seulement pour le meilleur.

Avant d’aller rejoindre Anoush dans son appartement, la mère de ma famille m’a appris à cuisiner un plat arménien, le « spas », sorte de bouillie de céréales avec de la crème fermentée et des herbes aromatiques. Elle pense certainement que je ne sais rien faire et que je vais mourir de faim (j’ai l’impression qu’ils s’imaginent que les Occidentaux mangent trois fois pas jour au restaurant). Au moins, comme ça, je me nourrirai chaque jour de spas. Elle a demandé s’il y avait une machine à laver et lorsque j’ai répondu par la négative elle a levé les bras au ciel et m’a demandé comment j’allais faire. Elle m’a aussi demandé si Anoush savait cuisiner !!!!! Pour la rassurer, je lui ai dit qu’elle savait même faire le spas et qu’il était très bon.

Puis la mère a décidé de m’accompagner chez Anoush, sans me prévenir à l’avance, pour vérifier que j’étais bien installée. Cela partait d’une bonne intention mais j’avais peur qu’elle apprenne que Anoush devait quitter les lieux. Heureusement, lorsque je suis arrivée, j’ai glissé deux mots en anglais à Anoush, lui faisant comprendre la situation et elle a d’instinct compris ce qu’il fallait dire et ne pas dire. Ce J’étais morte de honte devant les questions que la mère posait. Voici comment l’inspection s’est passée :
La mère : « Vous savez tout faire dans la maison ? La cuisine, le ménage, etc. »
Anoush : « Oui, bien sur »
La mère : « J’entends, vous êtes prêtes pour le mariage ? Vous ne pensez pas qu’il est temps ? »
Anoush : « Non, j’ai encore le temps. »
La mère : « Combien vous payez par mois ? »
Anoush : « Le prix normal. »
La mère : « Non, je pose juste la question parce que je veux savoir combien Marietta va payer. » (Elle m’appelle Marietta parce que pour elle je suis encore une enfant puisque je ne suis pas mariée et ne sait rien faire à la maison).
Anoush : « Nous allons tout partager en deux. »
La mère inspectant l’appartement : « Vous n’avez pas de machine à laver. Comment vous allez faire ? »
Anoush : « A la main. »
La mère apercevant le téléphone fixe : « Vous avez un numéro de téléphone fixe ? »
Anoush mentant : « Non, il est vieux, il ne marche plus. Mais si vous voulez j’ai un numéro de portable. »
La mère : « Non, c’est pas la peine. Nous avons déjà le numéro de Marietta. » Puis se tournant vers moi : « J’ai appris à Marietta a faire le spas. Marietta, tu as senti la différence entre le spas que j’ai cuisiné et celui d’Anoush ? Elle le prépare avec du riz, elle. »
Moi, essayant d’être diplomatique : « Oui, le spas d’Anoush est plus épicé. »
La mère s’adressant à Anoush: « C’est sans doute que vous aimez quand c’est épicé. »
Anoush secoue la tête en signe d’affirmation.
Puis pour attendrir la mère, Anoush a fait l’arménienne, c’est-à-dire qu’elle a tiré les joues de Razmik et demandé les prénoms et l’age des enfants. La mère nous a quitté, sans doute effondrée par les terribles conditions de vie de l’appartement, et nous a laissé du fromage et un pot de confiture de framboises, supposant qu’Anoush n’en avait pas.

Ca n’a pas l’air très compliqué de trouver un logement à Idjevan. Il n’y a aucune presse spécialisée ni aucun endroit dédié à ce type de recherche mais il suffit de demander autour de soi et aussitôt les gens passent deux trois coups de téléphone et je me retrouve avec une dizaine de propositions de logements. En plus, c’est la bonne période, les étudiants de l’université d’Idjevan rendent leur appartement pour l’été. Je suis allée à mon café internet habituel pour demander à la femme qui tient cet endroit si elle avait des tuyaux et aussitôt tous les clients, ayant entendu notre conversation, se sont rués sur leurs portables car ils avaient un oncle ou une grand-mère qui avait quelque chose à louer.

Malheureusement, pour le moment tout ce que l’on me propose ce sont des chambres chez l’habitant. Or, les conditions de vie ne sont pas toujours très bonnes (pas de douche et pas d’eau chaude) et « l’habitant » a la fâcheuse manie d’avoir des fils et neveux de mon age qui s’imaginent sans doute déjà m’épouser. Je me suis rappelée que mon ami le maire de Kirants avait un appartement de libre à Idjevan (qui servira à ses enfants lorsqu’ils étudieront à la fac) mais cela traîne en longueur rien que pour le visiter. Aucune proposition d’appart car il semble que les gens d’Erevan et des autres villes qui ont un appartement ici soient venus passer les vacances d’été à Idjevan.

Anoush a rencontré sa propriétaire pour régler les derniers détails. Après mille tracasseries entre propriétaire et locataire, la proprio a soudain demandé à Anoush si elle ne voulait pas épouser son fils. Anoush a absolument halluciné (et pourtant elle est arménienne) non seulement parce qu’elle ne connaît meme pas son fils, mais en plus elle ne peut pas s’imaginer que sa proprio, avec qui elle ne s’entend absolument pas, lui propose de devenir sa belle-fille. Sandrine, ma compatriote à Idjevan, pense que la proprio a fait exprès de déloger Anoush de l’appartement, afin que celle-ci presque « à la rue », consente au mariage avec le fils afin de retrouver un toit. C’est tout à fait plausible.

Je suis allée sur le marché acheter des ingrédients car je voulais faire des gâteaux français pour mon anniversaire et, par la même occasion, leur donner un petit aperçu de la cuisine française. J’ai eu beaucoup de mal à trouver du lait dans les magasins car ils n’en sont pas tous pourvus. J’ai su par la suite qu’il y avait du lait vendu sur le marché issu des fermes des alentours mais sinon il n’y a pas de lait en packs. Je ne sais pas pourquoi car les différentes usines proposent aux commerçants de vendre leurs produits laitiers s’ils le souhaitent. Généralement, sur le marché, c’est le lait de la traite du matin et il faut impérativement qu’il soit vendu le jour même, sinon il est fichu étant donné qu’il n’est pas pasteurisé. Et il faut absolument le faire bouillir. Ne trouvant pas de lait pour faire la crème pâtissière de ma tarte aux fraises, j’ai voulu me rabattre sur une tarte aux pommes ou aux poires. Mais j’avais oublié qu’on était dans un pays qui respecte les saisons, donc pas de pommes ou de poires. J’ai finalement réussi à trouver du lait pour ma tarte aux fraises.

Mes talents culinaires n’ont pas eu le succès que j’escomptais. Apparemment, ils ont trouvé ça trop sucré et trop dense, ce qui m’a bien fait rire car leurs bakhlavas dégoulinantes de miel ne sont pas plus diététiques. J’ai apprécié en particulier le fait que Karen refuse absolument de goûter même une bouchée car « le sucre nuit à la santé », m’a-t-il répondu, une énième cigarette au bec et son verre de vin à la main. Mais j’ai cru comprendre qu’ils sont aussi assez réticents à la nouveauté. En tout cas, aucune allusion sur le fait que j’étais bonne à marier puisque je savais cuisiner. J’apprécie.

Pour la deuxième fois depuis que je suis ici, je suis allée sur le marché faire mes courses puisque maintenant je vis SEULE. J’ai trouvé un commerçant qui affiche ses prix, transparence oblige, et qui a le geste commercial de rajouter un concombre et une tomate pour fidéliser le client. Exemple rare d’un commerçant qui a compris le principe du business. Je reviendrai. Je suis entré dans une boulangerie acheter mon pain. Tout de suite, le vieux monsieur m’a interpellé de cette façon : « Amerikanka ». – « Non, Française. » - « Ha !!!! Entre ! Entre, Djan ! » Avant que je comprenne ce qui se passait, sa femme est arrivée et m’a mitraillé de français, issu du temps ou elle était étudiante : « Un, deux, trois, quatre, la lune, la chaise, la fenêtre, la table, la balle est sous la table, … ». Son mari s’impatientant, me désigne la table pour que je choisisse mon pain. Puis, il me demande ou je vis et combien je gagne. Je suis un peu décontenancée bien que je commence à me familiariser avec cette question. Je réponds adroitement que je suis ici en stage et que mon père pourvoit à mes moyens. Puis, sur le moment de payer, sa femme à nouveau récite à toute vitesse : « La table, la chaise, la porte, la fenêtre, la lune, assis toi, un, deux, trois, quatre, cinq, six, … » Son mari à le malheur de l’interrompre et cela a pour effet qu’elle recommence depuis le début : « Un, deux, trois, … ». J’arrive enfin à m’extraire de cette bourrasque de francophonie et francophilie sous les hospices bienveillants du vieux monsieur qui me souhaite de revenir bientôt.

Lorsque Karen ne trouve pas un mot en russe, il prend son portable et me dit en faisant un clin d’œil : « Attends. J’appelle le dictionnaire. » Il appelle en fait sa cousine qui habite à Moscou et qui parle aussi plutôt bien français (je le sais car Karen a absolument insisté pour que je parle avec elle au téléphone). – « Comment traduire cette phrase en russe ? » - « … » - « Non, ‘’L’amour est une grand-mère’’, ça ne va pas. » - « … » - « Quoi ? ‘’L’amour est vieille’’ ? Non, ça ne va pas non plus. »
Plusieurs personnes ont également insisté pour que j’appelle mes parents de leurs propres portables « parce qu’ils doivent être très inquiets ». Heureusement, le décalage horaire fait qu’ils ne sont pas joignables à ce moment-là.

La pratique du clin d’œil est courante ici. Au début, je pensais que c’était parce que les gens ne pensaient pas ce qu’ils disaient mais, en fait, le clin d’œil en Arménie a de multiples significations. Il peut vouloir dire « Je rigole, c’est une blague », « Ne t’inquiète pas », « Je contrôle la situation », « Chut, il ne faut pas le dire aux enfants », « Tu me plais » utilisé surtout par les garçons et bien d’autres choses. Je sens que je n’ai pas finis d’explorer le champ sémantique du clin d’œil.

L’émigration est quelque chose de courant dans la vie des Arméniens. Les Arméniens vivant en Russie travaillent souvent dans le bâtiment ou comme chauffeurs de taxi, se font beaucoup d’argent et rentrent au pays pour s’acheter une belle voiture ou se faire construire une grande maison. Malheureusement, cet argent n’est pas investi dans une entreprise économique qui pourrait relancer le tissu économique local. C’est que la richesse sert avant tout à être montrée aux voisins. On peut deviner le nombre de familles ayant un membre à l’étranger en comptant les paraboles satellites accrochées aux toits des maisons. On m’a raconté une anecdote sur ce thème concernant un Arménien qui rentre au pays après plusieurs années passées aux Etats-Unis. Tout le monde lui demande pourquoi il a fait la folie de revenir alors qu’il avait une voiture, un bon job, une bonne assurance maladie et tout ce qu’il voulait. Celui-ci répond : « A quoi cela sert d’avoir tout cela, si je ne peux le montrer à personne ? » On m’a raconté qu’à Erevan, sur les bords de la rivière Hrazdan très tôt le matin, on pouvait voir des autres voitures à 50 000 Euros lavées par leurs propriétaires avec l’eau de la rivière. Tout simplement parce qu’après avoir acheté ces belles voitures à crédit, il leur faut économiser sur tout, même sur les 2 Euros du lavage automatique. Mais cela est fait très tôt le matin pour que personne ne puisse les apercevoir et qu’ils puissent continuer à parader dans leurs belles voitures la journée.

Le salaire moyen est de 16 000 Drames, c’est-à-dire 30 Euros par mois. Cela équivaut à acheter 10 Kilos de viande. Les appartements dans le centre d’Idjevan sont environ à 20 000 Drames par mois si ce n’est plus. Et encore, il y a beaucoup de gens qui sont en-dessous de ce salaire moyen comme les retraités ou les chômeurs qui ne perçoivent absolument aucune indemnité. Une télé coûte environ 300 Euros et les téléphones portables 80 Euros, voire plus. Et pourtant toutes les maisons sont pourvues d’au moins une télé et tout le monde a un portable, même dans les villages les plus pauvres. Je suppose que la vie est tellement difficile à supporter qu’on ne peut pas se passer de télé, nouvel opium du peuple, et les portables sont indispensables dans ce pays ou la précarité des transports en commun rendent plus ardu le maintien des relations.

Les enterrements coûtent extrêmement cher, entre 6 000 et 15 000 Dollars, car c’est un devoir d’honorer le mort comme il se doit en lui offrant une belle cérémonie. En outre, toutes les personnes connaissant de près ou de loin le défunt se doivent de rendre visite à la famille qui est obligée de nourrir ses invités. Il peut y avoir facilement 400 invités qui défilent à la maison, les uns après les autres. Surtout, la tradition veut que l’on commémore le 7e jour, le 40e jour et un an après la mort du défunt par un grand repas. Mais je ne sais pas comment font les familles pour se procurer une telle somme d’argent. Curt, un Allemand qui travaille ici pour une ONG, m’a affirmé que les gens mettaient leur argent dans les dents en or qui remplaçaient leurs dents arrachées par le dentiste. Dès qu’un évènement nécessite de débourser une grande somme d’argent, les gens vendent leurs dents en or et ont à la place un trou béant dans la bouche. C’est une méthode plus sure que de garder l’argent en banque car personne n’a confiance en elles (en Russie et en Arménie en 1998 de nombreuses banques ont fait faillite suite à un crack boursier et n’ont pas pu rendre leur argent aux gens). Je ne sais pas si c’est vrai, cela m’apparaît tellement incroyable.

Généralement, les Arméniens pensent que la vie à l’étranger est très facile, qu’il y a très peu de chômage (seulement pour les fainéants) et que l’on peut gagner aisément 5 000 à 6 000 Euros par mois. Ces stéréotypes sont véhiculés par les émigrants arméniens qui ont le besoin d’enjoliver leurs situations pour qu’on les admire. Ce qui a comme fâcheuse conséquence que les Arméniens s’imaginent que tous les Occidentaux roulent sur l’or. Une anecdote raconte qu’un Arménien décide de partir à Moscou pour mieux gagner sa vie. Au moment où il sort de l’avion à l’aéroport de Moscou, il aperçoit un billet de 100 dollars par terre. Au lieu de se baisser pour le ramasser, il dit : « Aujourd’hui, je me repose et demain je commencerai à travailler. »

Lusine, prof de français à la fac d’Idjevan, est allée en France en septembre dernier dans le cadre du jumelage avec la ville de Valence. Tout le monde lui a dit qu’elle était folle d’être revenue en Arménie et de ne pas avoir tenté sa chance en France. Elle essaye de leur faire comprendre que si parler français en Arménie est un atout considérable pour trouver du travail, cela ne représente aucune compétence particulière sur le marché du travail en France.

Les sphères publique et privée ne sont absolument pas séparées. L’office du tourisme dépend entièrement de la mairie d’Idjevan pour son financement et tout le reste. Deux des trois employés sont d’ailleurs des parents du maire. Lorsque j’ai demandé à Naira, la chef de l’office du tourisme, le montant de leur budget annuel, elle m’a répondu qu’elle n’en savait rien et qu’il fallait s’adresser à la mairie. Au moment des élections législatives, les employés de l’office du tourisme étaient toujours occupés par des réunions interminables qui concernaient… les élections. Toute la journée, ils pouvaient rester à ne rien faire, sans occupation, mais parfois une urgence les faisait bosser toute la nuit !!! L’autre jour, je vois Naira marcher à vive allure dans la rue. Elle revenait de l’hôpital d’Idjevan ou elle a participé à une campagne anti-corruption qui consiste à surveiller les médecins ! J’ai du mal à me représenter en quoi consiste véritablement cette campagne. J’imagine Naira, continuellement à 5 centimètres des médecins, vérifiant qu’ils ne prennent pas de pots de vin. Mais pourquoi la chef de l’office du tourisme pour effectuer cette tâche ? Et la nuit, qui surveille les médecins ?

La Française d’Idjevan (non, ce n’est pas moi mais quelqu’un d’autre) m’a raconté que lorsqu’elle attendait ses enfants, toutes les femmes d’Idjevan lui ont conseillé d’accoucher à Erevan car l’hôpital d’Idjevan n’a pas bonne réputation. Il parait que n’importe qui peut devenir médecin ; il suffit de payer. L’usage veut que ce soit le médecin qui fait sortir l’enfant qui reçoit l’argent. C’est pourquoi la sage-femme qui voit sa garde se terminer insiste pour mettre un goutte-à-goutte afin de faire venir l’enfant plus vite, tandis que le médecin qui doit bientôt prendre sa garde refuse catégoriquement. Et une bataille acharnée commence entre les deux équipes médicales tandis que la mère au milieu essaye tant bien que mal de se dépatouiller.



Marie

Amour et mariage en Armenie

DEBUT JUIN 2007

Bonjour,

C’est étonnant comme Razmik apprend vite le russe. En fait, il devait déjà le comprendre avant que j’arrive, à force d’écouter la télé russe, mais comme tout le monde à la maison parle en arménien il n’avait pas la possibilité de l’utiliser. Récemment, la mère m’a raconté qu’ils regardaient une interview d’un peintre contemporain en langue russe. Razmik dormait mais soudain il se lève et dit : « Apportez-moi mes pinceaux. Je veux dessiner. » - « Pourquoi veux-tu dessiner maintenant ? » - « Mais vous n’avez donc pas entendu ce qu’a dit ce peintre ? » La mère n’en revient pas qu’il ait pu comprendre l’émission et se demande ou il a bien pu apprendre le mot « peintre » en russe.

Je me promenais avec Anna, la fille aînée, quand j’aperçois des enfants avec une cigarette au bec. Je suis choquée mais Anna me rassure ; ce ne sont que des cigarettes en chocolat. Puis, elle me dit que Razmik sait bien fumer car auparavant des garçons adolescents lui donnaient des cigarettes et apparemment il fumait plus que son père ! Je lui demande si ses parents ne se sont pas fâchés contre ces garçons et elle me répond que non, puisque c’est Razmik lui-même qui demandait à fumer. Puis elle ajoute que maintenant que son père à arrêter de fumer, Razmik aussi.

Son grand cousin (environ mon age) est venu nous rendre visite. Lorsqu’il a sorti ses cigarettes de sa poche, il en a tout naturellement proposé une au petit qui s’est mis à crapoter avec grand plaisir devant toute la famille extasiée.

Dans ma famille d’accueil, on n’ose pas dire non ni aux enfants ni aux grands-parents. Tout simplement parce qu’on a peur de passer pour quelqu’un d’autoritaire et de méchant même si c’est pour le bien des gens qu’on se fâche. La grand-mère souffre sérieusement de diabète et tout un coté de son corps est endolori. Elle est partie à Erevan pour des examens. Elle ne doit plus manger de sucre mais sur sa table de nuit, j’ai aperçu des bonbons pour manger avec le café et du jus de fruits. La mère se lamente mais n’ose pas interdire carrément. Pourtant, c’est grave. La grand-mère est menacée de gangrène et il est possible qu’on lui coupe sa jambe.

Et la famille de me dire que c’est triste ; que cette maladie est apparue soudainement. Je leur demande si cela fait longtemps qu’ils savent qu’elle a du diabète. Ils me disent que oui, mais que tout allait bien jusqu’à il y a deux mois. Ils ne semblent pas faire le lien entre le diabète et la nécessité de suivre un régime strict. C’est incroyable car les enfants sont très bien au courant des effets nocifs du portable et m’ont fait remarqué que je ne devais pas le mettre dans la poche de ma veste car cela a un très mauvais impact sur le cœur (Entre nous soit dit mon cerveau doit déjà être bien endommagé). Idem pour toutes les mesures d’hygiènes mais paradoxalement ils ne se lavent pas les mains avant d’aller à table et ne font pas systématiquement chauffer le lait alors qu’il y a des risques de brucellose.

Le père est atterré car les médecins ont dit qu’il n’y avait pas d’autre solution que de couper la jambe. Et il me dit qu’en France, les médecins auraient sans doute trouvé une autre solution. Il s’imagine qu’en France personne n’est atteint de la gangrène et que l’on n’ampute jamais ! Il s’imagine aussi qu’il suffit d’aller à l’hôpital et qu’une opération peut tout arranger et ne comprend pas qu’il est plus utile d’anticiper la maladie par un régime ou par un médicament.

Nous avons célébré le matar de Razmik, pour remercier Dieu de l’avoir sauvé. C’était un petit matar car cela coûte cher d’acheter un mouton. Le père a donc acheté un coq, ce qui n’est pas si évident à trouver depuis cette menace de grippe aviaire. Nous sommes allés dans une petite chapelle dans le cimetière d’Idjevan, spécialement dédiée à ce type de cérémonie. Nous avons d’abord fait trois fois le tour de la chapelle puis le père a égorgé le coq juste a coté. Je n’aime pas beaucoup observer ces choses-là mais j’ai bien été obligée puisque j’étais le photographe officiel de la cérémonie. Une fois le coq égorgé, il est d’usage de couper une patte et de l’offrir en la déposant sur un khatchkar, pierre sculptée en forme de croix établie près de la chapelle. Puis les participants se voient dessinés une croix sur le front avec le sang de l’animal sacrifié. Ensuite, on allume des cierges dans la chapelle et, une fois rentrés à la maison, on cuit et on mange le coq. Razmik était tout excité mais lorsqu’il a compris que c’était du sang qu’on déposait sur son front il a commencé à pleurer. Il ne voulait pas qu’on tue le coq mais simplement le garder à la maison pour jouer.

J’ai trouvé une vraie Colomba arménienne. Elmine est la fille d’un des éleveurs et a un caractère bien trempé. Elle me raconte qu’un jour elle a donné un coup de couteau à un garçon parce qu’il avait osé lui donner un coup de poing. Apparemment, il était un peu dérangé et me dit-elle « je n’aime pas qu’on pose les mains sur moi ». Je lui demande si cela lui arrive souvent de se promener avec un couteau et elle me répond qu’auparavant elle se promenait systématiquement avec un couteau car les rues n’étaient pas sures pour une fille mais depuis cette histoire elle peut se promener à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, personne ne l’importunera. Elle a fait du karaté, ce qui est assez original pour une fille, en particulier issue d’un petit village, et veut suivre une formation pour travailler ensuite dans la police, ce qui n’est pas non plus très courant.

Elle a vingt ans et contrairement à beaucoup de jeunes filles de son village, elle ne veut pas se marier pour le moment. Elle veut jouir de la vie. A Erevan on trouve de plus en plus de couples « à l’européenne » mais dans les villes comme Idjevan la moyenne d’age des jeunes qui se marient tourne autour de 23 ans pour les garçons et 21 ans pour les filles. Tandis que dans les villages, la moyenne pour les filles tourne autour de moins de 20 ans et on peut encore trouver des jeunes filles de 16 ans qui se marient, que ce soit à la campagne ou à la ville. Cela dépend aussi beaucoup de la classe sociale et pour certaines familles pauvres c’est mieux que la fille s’en aille se marier. Puisque traditionnellement, la fille habite avec les parents de son mari. On m’a raconté qu’à Erevan, une femme avait envoyé la photo de sa fille de treize ans aux Etats-Unis pour qu’on lui trouve un mari. Et ce n’est pas le seul cas dont j’ai entendu parler.

Certaines filles veulent aussi se marier tôt car ici c’est un véritable statut social reconnu et estimé par tous. Une fille qui n’est pas marié est une sorte d’éternelle adolescente. J’étais assez gênée au début car tout le monde, que ce soit à la ville ou à la campagne, me demande si je suis mariée. Puis, on me demande pourquoi je ne suis pas mariée, parce que je suis déjà vieille pour eux, et on s’étonne que mon père m’ait laissé partir. Et tout le monde termine la conversation en déclarant qu’ils vont me trouver un mari ici. Les questions de mariage et de couple sont une obsession ; c’est comme si c’était l’unique but de la vie. Nous avons fêté mon anniversaire avec quelques amis arméniens et l’un des premiers toasts était le suivant : « Si tu vivais en Arménie, Marie, on te souhaiterait pour ton anniversaire que cette année tu … » - « C’est bon, j’ai deviné ! ». Une voisine m’a congratulé de la facon suivante : « Ma belle-fille s’est mariée lorsqu’elle avait 25 ans, donc tu as encore un peu de temps. »

Les filles se marient aussi très jeunes parce que, m’a-t on expliqué, certaines se conduisent d’une façon un peu trop « libre » et on les marie avant qu’elles ne soient plus vierges. Car ici, il faut impérativement être vierge avant le mariage. Ou alors parce qu’on pense qu’elles ne le sont plus et si une occasion de mariage se présente, on fonce dessus car elle ne se représentera peut-être pas étant donné la réputation de la fille. Que le garçon plaise ou non est une question totalement subsidiaire. Mais bien sur, cela dépend aussi beaucoup du statut social. J’ai aussi entendu des histoires de jeunes fiancés qui avaient couchés avant le mariage et finalement le garçon a décidé de rompre les fiançailles, car la fille n’était pas sérieuse en acceptant sa proposition. Et dans certains villages et certaines familles très traditionnelles, on montre encore le drap des mariés avec la tache de sang, preuve de la virginité perdue de l’épousée.

L’ancienne tradition caucasienne de « dérober » une jeune fille pour l’épouser est encore en vigueur en Arménie et de manière général dans tout le Caucase et en Asie centrale. Cela se passe ainsi. Un garçon dérobe une jeune fille qui lui plait avec la complicité de ses amis. Il la cache quelques jours chez un parent qui la traite très bien et elle ne subit aucune agression sexuelle. Simplement, pendant quelques jours, elle doit se farcir la télé arménienne non stop et je pense que psychologiquement cela doit être assez eprouvant. Ensuite, le garçon appelle la famille de la jeune fille et demande sa main. La plupart du temps, les parents acceptent car la réputation de la fille est fichue et ce sera très difficile pour elle de trouver un mari. Mais il y a aussi des cas ou les parents refusent car ce qui leur importe, c’est le bonheur de leur fille. On m’a raconté une histoire d’une fille qui s’est fait « dérobée » quatre fois par le même gars et à chaque fois elle a refusé de l’épouser. Mais apparemment, lui n’a pas compris.

En Arménie, on peut se marier par amour mais on se marie surtout parce qu’il faut se marier et on ne se pose pas plus de questions. En outre, les mariages d’intérêt existent encore. Et même ceux qui s’aiment se marient sans avoir vraiment le temps de se connaître. Si le divorce n’était pas si mal vu, je suis persuadée qu’il y aurait beaucoup plus de couples qui se sépareraient. Mais chacun prend son parti : le mari va aux putes et passe une bonne partie de ses soirées avec ses amis ou alors il est fidèle à sa femme mais reste des heures, le soir, devant sa télé tandis que les femmes sont tellement débordées de travail qu’elles n’ont pas trop le temps de réfléchir à cette situation. Chacun vaque à ses occupations et il est extrêmement rare de voir un couple se promener en ville en amoureux et si l’on en voit un, ce sont de jeunes fiancés. Mais je suis assez curieuse de savoir si ces jeunes couples continuent de se promener ensemble après le mariage. A Erevan, par contre, il est assez courant de voir de jeunes amoureux se balader bras dessus bras dessous et même s’embrasser ! Je ne peux pas m’empêcher de les regarder comme des bêtes de cirque tellement j’ai perdu l’habitude d’en voir.

Il y a aussi beaucoup d’hommes mariés qui partent travailler en Russie car ici il est très difficile de trouver un travail. Ils envoient de l’argent à leur famille restée en Arménie et viennent peut-être une fois par an ou pas du tout. Finalement, ils ont goûté à une vie agréable et n’ont parfois plus envie de revenir. J ai rencontré un Arménien qui a vecu plusieurs années en Russie avec sa famille. Ils sont revenus en Arménie car leurs papiers n etaient plus en règle et parce que, depuis le conflit avec la Georgie, c’est devenu plus compliqué pour les travailleurs étrangers de renouveler leur « carte de séjour ». Il me disait que la Russie était maintenant devenue sa vraie patrie et qu’il se sentait libre là-bas de vivre comme bon lui semblait. Il me disait aussi qu’il préférait les filles russes qui faisaient ce qu’elles voulaient mais qui le faisaient « honnêtement », tandis que selon lui, « les Armeniennes s’effarouchent dès que tu leur demandes l’heure, mais en fait, elles sont pires que les Russes car tout est fait en cachette ». Mais quand il s’agit du modèle familial, il n’y a pas à balancer, il préfère le modèle arménien bien sur.

Toutefois, on commence à trouver quelques femmes qui ne veulent pas se dépêcher de se marier. A Erevan , bien sur, il y en a beaucoup qui ont la trentaine et qui ne sont toujours pas mariées. Elles semblent assez déçues par les hommes arméniens au caractère plutôt machos. Gayane, qui a 32 ans, me dit en regardant les poissons de son aquarium qui nagent par couple, que les gens devraient suivre leur exemple et apprendre à vivre comme eux. A Idjevan aussi, il est possible de rencontrer des femmes « modernes ». Naira, la chef de l’office du tourisme, a 36 ans et me déclare qu’elle ne veut pas se marier simplement « parce qu’il est temps ». Quand je lui explique qu’en France les couples vivent plusieurs années ensemble avant de se marier, histoire d’être sur que c’est la bonne personne, elle me répond que cela devrait toujours se passer comme ça. J’avoue que je ne pensais pas trouver quelqu’un à Idjevan qui adhèrerait à ces idées. Naira me dit qu’elle n’a pas encore trouvé la bonne personne et que les hommes ici n’aident en rien les femmes. Mais pour conclure, elle me déclare qu’il y a ici beaucoup de bons garçons, sans doute parce qu’elle ne veut pas me dégoûter.

Par contre, une fois mariés, « c’est obligatoirement pour créer une famille, même si ce n’est que pour faire un enfant, sinon ça ne sert à rien ». Tout le monde m’a dit la même chose. Autrefois, les femmes veuves trop âgées pour faire à nouveau des enfants ou bien les jeunes veuves devenues stériles suite à une maladie ne pouvaient plus se remarier. Elles ne servaient à rien. Et cela se voit encore aujourd’hui. Alors que je me promenais pieds nus dans ma famille d’accueil à Erevan, la mère s’est fâchée gentiment : « Pourquoi tu marches pieds nus ? Il ne faut pas que tu sois pieds nus si tu veux avoir des enfants plus tard. » J’avais déjà entendu cette maxime scientifique à Moscou qui prétend que marcher pieds nus est un risque d’infécondité.

Je racontais, à la mère de ma maisonnée en train de repasser, que les couples en France partagent les tâches domestiques et s’occupent ensemble des enfants. Les hommes ici sont vraiment très aimants avec les enfants comme je l’ai déjà écrit. Ils les mangent littéralement de baisers, mais cela ne leur viendrait jamais à l’esprit de les baigner ou de les habiller. La mère se plaint souvent qu’elle ne fait que travailler, la journée au travail et le soir le repas, les devoirs, le linge, le repassage et tout ça pour une famille de 8 personnes. « Voilà notre vie, dit-elle souvent, nous ne vivons pas, nous ne faisons que respirer. » Son mari, samedi dernier, est revenu complètement saoul, ce qui était une grande première pour moi. Il vient vers nous sur le balcon avec sa tasse, certainement rempli d’un breuvage pour éviter le mal de crâne le lendemain. Il a l’air de plutôt bien gérer, excepté qu’on dirait qu’il a pris un coup de massue et qu’il a les yeux tous rouges. Il attend que sa femme prépare le thé comme tous les soirs. Sa femme lui parle en français (il lui reste quelques vestiges de l’école) : « Pourquoi tu ne peux pas te servir du thé tout seul ? ». Puis elle lui apprend qu’en Europe les hommes aident leurs femmes à la maison et il dit avec son petit filet de voix : « Molodets », ce qui pourrait être traduit par « Bravo ». Et elle déclare que dorénavant leur famille va évoluer à l’européenne. Mais cela me parait difficile, il y a trop d’inertie du coté de son mari.

Récemment, j’ai fais mon « coming out ». J’ai avoué à ma famille d’accueil que mes parents n’avaient jamais été mariés. Même si je ne suis pas très mariage, je comprends assez que cela soit paradoxal pour eux qu’une personne décide de faire sa vie entière avec quelqu’un et de faire des enfants mais de ne pas vouloir se marier, car « on ne sait jamais ce qui peut arriver ». Et encore, je ne leur ai pas dit que mes parents étaient séparés. Ce sera la seconde étape. Et la troisième sera de leur dire que mon père s’est « remarié » avec une chinoise. Chaque chose en son temps. En tout cas, je me garde bien de dire ce genre de choses à d’autres personnes, ils pourraient croire par une sorte de déductions plus ou moins logiques que je suis une fille facile.

L’écologie n’est pas la préoccupation principale des Arméniens. Cela pourrait se comprendre parce qu’ils ont d’autres soucis en tête mais je pense aussi que c’est une question d’éducation. Car faire quelques mètres pour jeter un papier dans une poubelle n’est pas si compliqué. Lilit, professeur de français à Erevan, me disait qu’avant d’aller en France cette année, elle pensait que Erevan était une ville propre. Mais une fois rentrée, elle a compris que c’était loin d’être le cas. Cela m’a fait comprendre que les gens qui n’avaient pas de moyen de comparaison, ne pouvaient pas prendre de recul sur leur pays. C’est la même chose pour les pratiques agricoles. Les fermiers n’ont jamais eu à faire attention à la qualité de la production parce qu’à l’époque soviétique, qu’ils travaillent ou non, ils recevaient de toute façon un salaire et dans un contexte de pénuries chroniques « le consommateur » était déjà content lorsqu’il trouvait ce qui lui fallait, alors si en plus il fallait attacher de l’importance à la qualité. Aujourd’hui c’est la loi du marché qui domine mais les fermiers n’arrivent pas toujours à le comprendre, d’autant plus qu’il n’y a aucune formation agricole à leur disposition, excepté à l’académie d’agriculture à Erevan, ce qui n’est évidemment pas adapté.

Même certains membres de l’organisation arménienne Shen, qui met en place des filières biologiques, n’hésitent pas à jeter leur paquet de cigarettes vide par la fenêtre de la voiture. Ils ne doivent pas faire le lien entre le bio et l’écologie, ce qui parait fou de premier abord. Mais bon, il ne s’agit pas là des éminents spécialistes, simplement des employés comme le comptable, qui ne sont pas là pour des raisons de militantisme mais simplement parce qu’ils y ont trouvé un travail.

Ce qui est assez paradoxal c’est que, autant dans la rue les gens ne se gênent pas, autant chez eux c’est très propre. Il n’y a pas vraiment de conscience du bien commun. Dans notre rue, il n’y a plus d’éclairage publique car, m’a-t-on dit, les gens s’étaient mis à voler les ampoules des lampadaires. Mais je me suis aperçue que chez ma famille, dans un recoin du jardin qui ne sert à rien, les enfants jetaient toutes sortes de papier. C’est sans doute que ce recoin est considéré comme inutile et n’est pas un lieu de vie de la famille, donc ils peuvent ne pas respecter les règles de propreté.

L’Arménie possède de jolies rivières sauvages, un peu comme en Corse, mais il ne vaut mieux pas s’y baigner et toujours mettre ses baskets lorsqu’on s’y trempe les pieds, non seulement parce que les gens y jettent leurs déchets, mais aussi parce qu’on peut tomber sur des métaux en fer rouillés très blessants. Il est en effet courant de voir des tables de pique-nique avec toit intégré en fer rouillé, dans le pur style soviétique. Une bonne partie de ces structures se retrouvent dans les arbres et la rivière suite à une tempête.

Le lac Sevan fait l’objet d’un programme écologique, je ne sais plus lequel exactement, qui consiste à interdire la pêche à une certaine période de l’année afin de permettre aux poissons de se reproduire. Mais on ne peut pas dire que cette interdiction soit respectée. Sur la route pour aller à Erevan, le long du lac Sevan, des hommes sont postés tous les 5 mètres et montrent avec leurs mains un objet imaginaire de grande taille. Cela signifie qu’ils ont du poisson à vendre mais ils se gardent bien de le montrer aux passants par peur d’une amende des policiers.

En arménien, « sirel » veut dire aimer. Mais il existe aussi un autre mot qui signifie aimer, estimer, « tsevatsanem », qui n’existe dans aucune autre langue et que l’on peut traduire par « je prends ta douleur sur moi ». « Djan » veut dire « cher, chère » en arménien et suit souvent le nom de la personne pour lui signifier qu’on l’aime bien, par exemple « Anna djan ». On l’utilise pour les amis, la famille et aussi souvent pour amadouer quelqu’un que l’on veut rouler ou pour lui faire passer la pilule. Je n’aime pas les gens qui donnent du « djan » et du « tsevatsanem » à tout bout de champ, aussi bien à leur frère qu’à un parfait inconnu ; ces mots n’ont alors plus aucune valeur. Mais j’aime bien m’entendre parfois appeler « Mara djan », cela dépend de la personne qui le dit. Souvent, les gens se saluent de la façon suivante, qui sonne assez drôle en français : « Salut ! Comment tu vas ? Je prends ta douleur sur moi ! »

J’ai rencontré récemment un autre chauffeur très amusant. Décidément, c’est une espèce à part les chauffeurs en Arménie. Pour une fois, ce n’était pas un chauffeur de taxi mais le chauffeur de l’ONG Shen avec qui je suis allée à Vardenis, au sud du lac Sevan, voir une fromagerie. Tout le long du voyage nous avons eu droit successivement à de la musique arménienne traditionnelle, à de la musique arménienne contemporaine, genre popsa russe avec une petite touche orientale, et à de la « chanson » (prononcez les sons « an » et « on » à l’anglaise), « pseudo chansons à texte » selon Nvard. Le chauffeur s’est amusé à danser à l’arménienne, en levant les bras et faisant des moulinets du poignet, et ensuite il a fait semblant de s’endormir au volant, histoire de bien rigoler en voyant nos têtes. La voiture s’est mise ensuite à faire des zigzags, comme si elle dansait. Puis, le chauffeur m’a dit « Attends. Je vais discuter avec toi en français ». Il a sorti un petit papier de sa poche sur lequel était marqué des phrases en français et a commencé à lire : « Bonjour. Comment tu t’appelles ? Ca va ? Vous étés très belle ». C’est une interprète de son travail qui le lui a écrit à sa demande. J’avais envie de dire qu’il manquait une fin à ce superbe dialogue. Nvard, la seule femme avec moi, lui a alors demandé de fermer sa bouche et il s’est vexé, refusant de lui répondre lorsqu’elle lui adressait la parole. « Je ne parle qu’avec toi, Djan », m’a-t-il dit. Nvard a alors répondu : « Si tu ne veux pas me parler, alors vas-t-en d’ici. » Il a commencé à ouvrir la portière tout en continuant à conduire.

Il n’arrêtait pas de tourner la tête vers moi, qui était assise juste derrière lui, pour discuter. J’avais envie de m’asseoir sur le capot de la voiture, car au moins j’aurais été sure qu’il aurait regardé droit devant lui. « Le vent ne te gêne pas, Djan ? », en faisant allusion à sa fenêtre ouverte. Et Nvard de dire : « Il semblerait que le nom de Marie ait changé ». A la fin de la journée, j’ai convenu avec Nvard et ses collègues que nous nous reverrions la semaine suivante et ils m’ont promis de m’emmener à Garni et Geghard, sites touristiques près d’Erevan. Et le chauffeur: « Oui, prends ton oreiller. »

A midi, nous nous sommes arrêtés pour manger et le chauffeur m’a servi en disant « Mange pour ne pas maigrir. Les Arméniens n’aiment pas les filles maigres ». Car je passe pour maigre ici. Récemment, à la ferme de Hovhannes, ils ont tué le cochon et l’ont pesé, puis ils m’ont ensuite pesé. Apparemment, je fais 64 kilos, alors qu’il y a deux mois lorsque j’ai quitté la France j’en faisais 56. Je pense qu’il doit y avoir une erreur car après 60 kilos je ne peux plus entrer dans mon pantalon vert.

J’ai remarqué quelque chose de très amusant. Bien que les hommes ne lèvent pas le moindre petit doigt, lorsqu’il y a un invité à table, ils lui servent à manger directement dans son assiette comme un petit enfant. Je me suis même vue une fois donnée la becquée avec la fourchette, mais il s’agissait d’un type un peu bizarre. Idem, lorsqu’on va dans la nature au bord de la rivière faire des khorovats (« barbecue ». Ce n’est pas bien si vous ne suivez pas), c’est une affaire d’hommes de s’occuper des khorovats tandis que les femmes sont relégués aux tâches ne demandant pas beaucoup d’aptitude tel que le découpage de saucisson et de concombres. Lorsque j’ai fait part de mes observations à mes compagnons arméniens, les filles m’ont dit que c’était normal car cela demandait beaucoup d’expérience. Cette expérience serait-elle innée chez les garçons lorsqu’ils arrivent au monde? Et d’ajouter qu’il y a bien une femme qui fait elle-même les khorovats et qu’on peut la trouver dans la ville de Spitak !!

J’ai assisté à une très jolie fête qui n’existe malheureusement pas chez nous : « la dernière cloche ». Cette fête a lieu le dernier jour de l’école, c’est-à-dire fin mai et est réservée à la dixième classe, équivalent de notre terminale, afin qu’ils puissent dire au revoir à leurs professeurs une dernière fois. Dans tous les pays de l’ex-URSS on fête la dernière cloche. Les garçons sont en costumes noirs, les filles en jupe noire et chemisier blanc et arborent des coiffures dignes d’une mariée. Tous les élèves, les professeurs, les parents et le maire se rassemblent dans une salle afin d’écouter les élèves de la dixième classe. Là, les élèves chantent, dansent, montent des petits sketches pour dire combien ils sont reconnaissants vis-à-vis de leurs professeurs, que leurs camarades vont leur manquer et que ces souvenirs resteront à jamais gravés dans leur cœur. Enfin, je crois, parce que c’était tout en arménien et personne n’était là pour me traduire. Assez souvent, une jeune fille éclate en sanglot et cela fait effet boule de neige sur toutes les autres filles de la classe. Puis les professeurs sont couverts de bouquets de fleurs et se voient mêmes obligés d’en refuser, faute de mains supplémentaires pour les porter. La dernière classe n’a malheureusement pas pu terminer son petit spectacle car le générateur a lâché à quelques minutes de la fin et sans électricité plus de magnétophone, plus de micro, plus de caméra pour filmer, bref plus rien. Ensuite, tout le monde s’engouffre dans les voitures, décorées pour l’occasion, et une ribambelle de voitures se suit à la queue leu leu jusqu’à Idjevan. Toutefois, les policiers ouvrent la marche et veillent au grain car de nombreux accidents ont lieu pendant cette fête. Il parait même que le gouvernement a pris une loi depuis deux ans stipulant qu’il est interdit de fêter cet évènement en ville s’il n’est pas encadré par les autorités. A Erevan, pour engrener ce phénomène, le gouvernement organise un grand bal publique et gratuit sur la place de la République, encadré par une escouade de policiers. Une fois à Idjevan, nous sommes entrés dans l’église déposer des cierges et se faire bénir par le prêtre puis nous nous sommes promenés et assis au café, par classe entière avec les professeurs. Le soir, les élèves arborent des robes de bal magnifiques, des costumes et noeux pap’ et se promènent, toujours par classe, dans la ville jusqu’au petit matin. Le lendemain, qui est un samedi, les élèves se baladent encore dans la ville, bien habillés, maquillées et coiffées et crient ensemble le numéro de leur classe. Ce qui m’a surtout plus dans cette fête, ce sont les relations très amicales et fortes qui se sont établies entre les élèves et leurs professeurs au fil des années. Cela change beaucoup de la froide et distante correction qui existe en France. Mais les Idjevantsi (habitants d’Idjevan) m’ont dit que je n’avais pas vu une « vraie » dernière cloche parce que j’étais dans un petit village tout près d’Idjevan et non pas dans la ville même, ou c’est autre chose parait-il.

Excusez-moi pour ce long mail. J'oublie qu'il y a des gens qui travaillent et qui n'ont pas forcement le temps de lire une telle correspondance. j'essairai d'etre plus breve la prochaine fois.

Bisous,
Marie

Vie quotidienne dans le marz de Tavouch

MAI 2007

Bonjour à tous,

La cuisine arménienne est excellente. Les engrais étant très chers, pratiquement tout ce qui est produit en Arménie est de fait bio. Et à prix modique. Les Arméniens ont l’habitude de faire eux-memes leurs conserves et je mange donc souvent de délicieuses confitures faites maison avec les fruits du jardin ou les fruits de la foret. Ils font aussi de délicieux fruits confits baignant dans du sirop que ce soit avec les griottes, les peches, les figues et meme les noix !!! Ils produisent egalement un petit vin maison pas mal du tout (j’y connais absolument rien mais je le trouve bon, c’est l’essentiel). Quant au lait, ça fait depuis ma petite enfance que je n’ai pas bu un lait encore tout imprégné du gout de vache et les tomates ont le goût de tomates. C’est la ou se rend compte que la nourritue en France n’a plus beaucoup de gout (je parle des produits de base). Je mange aussi une très bonne soupe aux orties, excellent que ce soit pour le gout ou pour la santé et mon plat préféré est les dolma, feuilles de vigne farcies avec de la viande et du riz. Hummmmmmmmmmmm ! Je mange aussi des dattes fraîches toutes droit venues d’Iran, le pays voisin et les grenades poussent à foison dans ma région.

Je suis épatée par le temps que les femmes arméniennes passent à cuisiner et entretenir la maison. Cela n’est possible que parce que la femme ne travaille pas ou alors parce qu’elle est secondée par sa belle-mère ou sa belle-sœur (la femme vit avec les parents de son mari) car sinon jamais leurs maris n’auraient la chance de manger des plats aussi élaborés. Une fois, Ararat chez qui je vis, a fait un beau compliment à sa femme en me disant que les femmes arméniennes étaient des travailleuses endurantes et émérites. Sa femme a riposté : « tu crois qu’en France les femmes ne s’occupent pas de la maison ?! ». « Oui, mais elles n’ont pas à s’occuper de familles aussi nombreuses. » Je crois que c’était sa façon à lui de remercier sa femme pour tout ce qu’elle faisait et d’obtenir son assentiment pour continuer à se mettre les pieds sous la table. Ici, les femmes sont habituées à servir les hommes et la petite Mara de 8 ans sert son petit frère de 3 ans comme si c’était aussi évident que de respirer. La nouvelle génération commence à changer et on peut trouver quelques hommes qui aident un peu plus leurs femmes ou qui ont moins de prejuges.

Ainsi, mon taxiste habituel qui m emmene dans les villages, Rafik, m a fait conduire l autre jour sa voiture « pour apprendre ». J etais assise a la place du passager et je tenais le volant mais ce n etait pas vraiment pratique pour le manipuler et pour la visibilite. La prochaine fois j essairai avec les pedales mais il vaudra mieux trouver un autre endroit que la route car j ai peur de creer une collision et qu on aille tout droit dans la riviere.

Je mange à toute heure du jour car les horaires sont inconnus ici. Dès que l’on se trouve en compagnie d’amis, de parents ou d’une compagnie quelconque il faut s’occuper la bouche soit en mangeant, en buvant, ou alors en fumant mais pour l’instant je n’ai encore vu aucune fille en province fumer. Ce qui signifie que mon estomac est constamment en plein travail de digestion et c’est bien d’ailleurs la seule chose qui travaille chez moi J) Si cela fait seulement trois heures que je suis occupée à quelque chose, on me dit tout de suite de venir manger car je dois etre morte de faim ! et les Arméniens sont très rusés car ils arrivent toujours à me faire manger et qui d’une glace, qui d’un concombre, qui d’une pizza arménienne (« Juste pour gouter ! »), qui des loukhoums, qui d’un jus, qui de khorovats (équivalent du shashlyk ou du barbecue pour les non-russisants), alors qu’au départ j’avais la ferme intention de ne boire qu’un café noir sans sucre. Idem pour la boisson et je dois dire que je suis bien contente d’avoir fait un stage boisson et corruption à Moscou, sinon je ne sais pas qu’elle image dépravée j’aurais donnée ici, complètement saoule à rouler sous la table. Mais ça va, je gère. Je tiens meme mieux l’alcool que le maire de Kirants J)

Je ne reconnais pas la ville tant il y avait de gens dans la rue. Le soleil a délivré tout ce monde qui se cachait bien au chaud. Presque tous les soirs un concert avec les grandes stars de la chanson populaire arménienne etait donné sur la place centrale. C’est normal, nous étions en pleine période électorale et les politiciens sont vraiment très malins. Ils ont bien compris que personne ne viendrait écouter leur discours si celui-ci n’était pas suivi d’un évènement populaire. Tous les partis de droite comme de gauche agissent de la sorte, la seule différence tient au fait que les petits partis font croire qu’il y aura un concert alors qu’en fait ils n’en ont absolument pas les moyens. Et les gens rentrent dépités chez eux, sans concert. Maintenant que les élections sont terminées, la ville a repris un rythme plus calme mais la ville sembl ;e deja plus jolie avec ses arbres et la boue qui a disparu et les gens sortent plus volontiers dehors remplir les cafes. Le maire de Kirants m’a dit en rigolant : « L’année prochaine il y a les élections présidentielles et là aussi on aura des concerts et l’année suivante ce sera les élections municipales, mais alors là il n’y aura pas de concerts, c’est sur, car les maires n ont pas autant d argent. »

Le maire de Kirants se déplace partout avec le tampon officiel de sa mairie car n’importe qui peut lui demander à tout moment un papier officiel bidon pour une quelconque affaire. J’appelle ça la « mairie ambulante ». La dernière fois, il se trouvait au café en train de déguster une glace et il a écrit un papier au « pied levé » et a sorti son tampon de sa poche et hop !, c’est dans la poche. Le maire me dit que les Arméniens arrivent toujours à se procurer un papier officiel quel qu’il soit, meme le plus absurde. A ce sujet, on m’a rapporté une anecdote assez marrante. Un Géorgien voit une voiture à Moscou qu’il veut acheter. Il demande quel type de document il faut fournir et le gars lui répond qu’il doit donner un papier qui prouve qu’il a servi pendant la Première Guerre mondiale. Le Géorgien rentre dans son pays pour se procurer le document et au bout de quelques jours revient à Moscou mais la voiture a été vendue. Le vendeur lui répond qu’il a vendu la voiture à un Arménien qui avait sur lui un papier qui prouvait qu’il avait servi dans les Alpes.

Dimanche dernier, je suis allée avec ma famille d’accueil à un matar. Le matar est une ancienne pratique paienne qui consiste à sacrifier un animal à Dieu pour le remercier soit d’une bonne chose qui est arrivé, soit lorsque quelqu’un a échappé à un malheur. Bien sur, le cérémonial chrétien a été intégré à la cérémonie originelle pour lui donner un air de respectabilité. Le matar auquel je suis allé était en l’honneur d’un couple qui s’est marié tardivement et qui ont eu récemment un fils. Une cérémonie est dite dans une église dediee a ce type de ceremonie puis on allume des cierges et enfin on sacrifie dehors un mouton ou bien un coq, suivant les moyens de la famille. L’animal sacrifié est dépecé et est ensuite servi en khorovats (barbecue si vous avez bien suivi jusque là) lors du repas qui regroupe tous les convives dans de joyeuses ripailles. Lors du sacrifice de l’animal, il est habituel de bénir les convives en dessinant une croix sur leurs fronts avec le sang de la bete. Malheureusement (ou pas), je n’ai pas pu assiter au sacrifice et à la cérémonie car nous sommes arrivés un peu après mais je suis allée tout en haut de la montagne voir l’église. C’est une toute petite église en ruine ou le toit a totalement disparu. Des cierges sont cachés sous une pierre et les personnes qui rentrent se servent, allument les cierges et les collent contre le mur grace à la cire encore chaude. Ce qui donne pour effet que les murs sont tous noirs en raison de la suie et de la cire fondue. Des portraits en platre de la vierge et du Christ à moitié brisés sont placés contre les murs, donnant un air de naufrage à l’ensemble. Puis, il est d’usage de laisser quelque chose derrière soi en souvenir. Ici, les gens avaient accroché un mouchoir ou un tissu quelconque sur les branches d’un arbre qui traversait l’église, mais on pouvait trouver absolument de tout et j’y ai meme vu une paire de chaussures toutes neuves. Nous n’avions rien à laisser derrière nous et j’ai failli proposer de laisser le téléphone portable. Le matar est vraiment une très jolie cérémonie ne serait-ce que parce qu’il vient de la profondeur des ages et qu’il est empreint de poésie, mais écologiquement ce n’est pas très viable. Ils sont actuellement en train de construire une nouvelle église juste à coté. Ils voulaient reconstruire l’ancienne église mais elle était tellement en ruine que ce n’était pas possible ; et la détruire totalement pour refaire une nouvelle sur les fondations c’est spirituellement inconcevable.

Pratiquement toutes les crèches ont fermées à l’indépendance faute d’argent pour payer le personnel. C’est pourquoi le petit Razmik de ma famille d’accueil reste à la maison. Je pensais au début que son développement psychique et mental en patissait mais en réalité il est très éveillé. Ses soeurs n’ont cours que le matin et il a donc tout le loisir de jouer avec elles l’après-midi. En outre, les voisins et les parents viennent rendre visite régulièrement et il voit beaucoup de monde. Il a trois ans et demie et c’est l’age idéal pour etre réceptif à de nouvelles expériences. Il commence à connaitre quelques mots en français et répète après moi quand je parle au téléphone. Il dit aussi beaucoup de mots en russe puisque c’est la langue que nous utilisons pour communiquer. L’autre jour il disait : « Bonjour eto Barev » (« Bonjour ça veut dire Bonjour » sous-entendu en arménien) en mélangeant les trois langues.

Razmik est le petit dernier de la famille et de surcroit le seul et unique garçon. C’est pour cette raison que tout lui est passé et il fait régulièrement des caprices. Ca lui arrive de manger cinq glaces par jour s’il en a envie et ensuite il pleure toute la nuit parce qu’il a mal au ventre. Ses soeurs sont très patientes et se laissent frapper avec assez de bonne volonté jusqu’au moment ou elle ne peuvent plus supporter cette situation et lui font très mal, dans un excès d’énervement. La mère arrive alors et fout une belle paire de claque, à la fille bien sur. Ce qui me parait surtout incroyable c’est qu’il frappe meme sa mere et sa grand-mere et leur crie de se taire et l’unique réaction de la mère est d’esquiver un sourire attendri à son cher rejeton.

L’autre jour, le père a acheté un vélo à son fils. Ils ont un jardin mais je ne sais pas pourquoi Razmik fait du vélo dans la maison, enfin il essaye car il se cogne toujours aux meubles. Mais son principal but est de nous foncer dessus. Lorsqu’il fait beau, la porte de la maison est ouverte qui donne sur le balcon et Razmik pédale alors sur le balcon. Hier, il est tombé dans les escaliers qui descendent vers le jardin. La mère m’a appris la nouvelle quand je suis rentrée et m’a dit « heureusement, Dieu l’a sauvé encore une fois (il est déja tombé auparavant). Nous allons chercher un coq et célébrer un matar pour remercier Dieu de l’avoir sauvé. » Je trouve que cela aurait été plus simple et plus sécurisant de mettre dès le départ le vélo dans le jardin et qu’il n’en fasse qu’à cet endroit. Aujourd’hui, Razmik faisait du vélo dans le salon et la porte de la maison qui donnait sur le balcon était ouverte...

Parfois Razmik fait semblant de fumer car à trois ans et demi il a deja bien compris qu’etre homme ici c’est obligatoirement fumer. Son grand-père lui a offert une cigarette la fois derniere, pour rigoler, et sa tante l’a lui a allumée à sa demande.

Sa soeur Mara à huit ans et cette année est la première année scolaire ou elle a des examens. Tous les deux ans, elle en aura et elle doit avoir de bons résultats pour espérer étudier gratuitement à l’université par la suite. Lourde responsabilité pour une petite fille de cet age et aucun droit à l’erreur. Elle avait quitté sa chaise un instant, laissant ses exercices sur la table, lorsque Razmik s’y est installé et a décidé d’y dessiner un magnifique ours. La mère a simplement rigolé.

En Arménie, un repas ne se passe jamais sans la présence d’un « tamada », le maitre de cérémonie, qui se doit de porter des toasts à la santé des convives, à leurs succès, à leurs familles, et tout ce que l’on peut imaginer. Le tamada peut également passer la parole à un autre convive afin qu’il porte lui aussi un toast et cela peut durer des heures. Les toasts habituels sont bien évidemment dédiés à la santé des convives puis généralement le deuxième ou troisième toast aux parents et aïeuls que l’on vénère car ils nous ont donné la vie, puis le suivant aux enfants qui sont particulièrement choyés en Arménie. Sans oublier le classique toast issu de l’ère soviétique consacré à l’amitié entre les peuples. Une anecdote qu’on m’a rapportée raconte que les Géorgiens dédient le premier toast à leurs parents parce qu’ils ont peur d’être trop saouls après et d’oublier. Une fois ce devoir accompli ils peuvent donc boire autant qu’ils le désirent. Les Arméniens au contraire dédient le dernier toast aux parents (mais ce n’est pas vrai comme je viens de le dire), ce qui signifie qu’ils tiennent mieux l’alcool que les Géorgiens puisqu’ils n’ont pas peur d’oublier !

Il y a ensuite des toasts plus personnels qui sont la pure création de chaque convive et qui permettent d’apprécier la personnalité et l’esprit de chacun. Ainsi, Varak porte toujours un très beau et très poignant toast qui est le suivant : « Il y a deux moments ou l’on ne sent pas que l’on nous embrasse dans la vie. Le bébé ne sent pas quand sa mère l’embrasse et la mère défunte ne sent pas lorsque son fils l’embrasse sur son lit de mort. » Assez troublant surtout lorsque l’on sait qu’il a perdu sa mère à dix-huit ans. Mon hote, Ararat a fait aussi un toast très judicieux je trouve. « Buvons à notre santé mais aussi à notre chance car il ne suffit pas d’être en pleine santé dans la vie. Les passagers du Titanic aussi étaient en très bonne santé mais ils se sont noyés parce qu’ils n’ont pas eu de chance ».

Lorsque je dis aux gens que je suis fille unique, ils disent « ha ! Quel malheur ! Que c’est triste ! ». Et puis ils me demandent si j’ai un père et une mère, sans doute parce qu’ils pensent que je suis orpheline. La famille est très importante et les enfants sont tres choyés. Ils pincent les joues de l’enfant pour signifier qu’il est en pleine santé et lui font toutes sortes de bisous baveux comme s’ils voulaient les manger. L’autre Française d’Idjevan, que je viens seulement de rencontrer (j’ai fais de la résistance ; je ne voulais pas m’agglutiner immédiatement à la « communauté française » d’Idjevan), a deux enfants dont un bébé né fin mars. Elle a absolument horreur de ces bisous baveux, peu hygiéniques selon elle, et lorsqu’elle a présenté le bébé aux collègues de son mari, elle a bien stipulé qu’il était interdit de la bisouter. C’était particulièrement fendant de voir un des collègues mettre son visage à 5 centimètres de celui du bébé et lui faire des bisous virtuels en claquant la langue comme s’il dégustait un bon plat.

J’étais dans un taxi, revenant d’une visite d’agriculteurs, quand celui-ci me pose la question rituelle de combien j’ai de frères et de sœurs et faisant l’habituelle mine consternée en entendant ma réponse. Puis il me dit que ce sont les Arabes qui font chez nous beaucoup d’enfants. Je réponds oui, puis après un petit silence je lui dis que la famille arménienne traditionnelle a aussi beaucoup d’enfants, pensant lui faire un compliment sachant à quel point la famille est importante ici. Il me fait alors cette étrange réponse : « Non. Nous sommes chrétiens, nous. » !!!

Assez souvent lors des fameux toasts déclamés pendant les diners, j’entends des vœux dédiés aux gens « du monde entier, qu’il soit turc ou noir, la nationalité n’a pas d’importance ». Mais lorsque je pose la question dans une discussion, les Arméniens me répondent généralement qu’ils n’aiment pas les Musulmans car ils ont toujours voulu les convertir et les dominer. Les relations sont toutefois plus aisées avec les Azéris qu’avec les Turcs car ils ont cohabités ensemble pendant des décennies au sein de l’ex-URSS et certains gardent de bons contacts. Cependant, le blocus avec l’Azerbaidjan et la Turquie fait de l’Arménie une île sans mer, isolée de tout. Pour se rendre de Turquie en Arménie en bus il faut aller tout au Nord en passant par la Géorgie. Sans compter que depuis que les relations se sont détériorées entre la Géorgie et la Russie, il n’est plus possible pour les Arméniens de passer en Russie par la Géorgie, ce qui est un véritable problème économique compte tenu de l’importante communauté arménienne présente en Russie. Le seul voisin avec qui les relations sont bonnes est l’Iran, bien qu’ils soient musulmans et qu’il aient longtemps dominé les Arméniens par le passé. Aujourd’hui, des projets de coopération émergent ente les deux pays. Mais je n ose pas trop penser a ce qui se passerait si une guerre eclatait en Iran.

De nombreux chanteurs populaires arméniens par le passé ont chanté en langue russe et on peut dire que les Arméniens restent très russophiles et russophones, plus que je n’osais l’espérer. A ma grande surprise, certains chanteurs ont également traduit leurs chansons en turc, chansons qui parlent naturellement du génocide et de la patrie perdue, afin que les Turcs puissent entendre ces paroles et ne pas oublier. Mais je n’arrive pas à savoir si ces chansons parviennent vraiment en territoire turc et si elles sont entendues.

J ai encore dix mille choses a dire mais ce sera pour une prochaine fois. En tout cas, je vous embrasse tous bien fort.

Marie

La dure confrontation de deux cultures

AVRIL 2007

Salut tout le monde !

Encore moi et mes decouvertes en terre armenienne.L Armenie est un beau pays, surtout depuis deux jours qu il ne pleut plus. Les habitants sont tres accueillants, c est un de leur trait specifique qui tient a leur orientalite, et il ne manquent jamais de le rappeler tellement ils en sont fiers...Mais. Tout compte fait, je trouve les Francais ou les Russes plus acceuillants meme si nous sommes plus individualistes. En Armenie, les gens de la famille et les amis viennent a l improviste rendre visite. Alors, immediatement la table se pare de fruits, de gateaux, de glace et le cafe turc (excusez-moi armenien) est servi bien chaud. Mais la tele est systematiquement allumee et les gens discutent moins entre eux. J ai d'ailleurs l'impression que beaucoup rendent des visites parce qu ils estiment que c est leur devoir de cousin, de niece, de soeur ou de voisin. Le poids de la tradition et de la famille est en effet assez consequent. Mais bon, la societe armenienne est en pleine mutation (pas toujours pour le meilleur comme ces innombrables conneries qui passent a la tele comme dans n importe quel pays). Et tandis que la tante de la famille chez qui je vis me tient des discours sur la moralite des filles qui ne sortent qu en compagnie du garcon qu elles epouseront, la jeune Anna agee de 13 ans affiche une jupe tres courte et sexy aux beaux jours d avril.Du coup, je ne sais plus tres bien comment je dois me comporter entre ces deux extremes. La vie passe tres l e n t e m e n t en province. Depuis l independance, de nombreuses entreprises ont fermees et celles qui sont encore ouvertes ne fonctionnent qu'a 10-20% de leur capacite. Le chomage est tres important et les gens ne savent pas quoi faire de leur journee comme la tante de ma maisonnee. Meme le cinema a ferme et il n y a donc pas de possibilite de se divertir au cas ou l on aurait de l'argent. Du coup, ils se contentent de regarder la tele pendant des heures d'affilee et de se rendre parfois visite pour discuter mais ils n ont pas grand chose a se dire etant donne que rien ne se passe dans les villes de province. La lecture semble un plaisir inconnu ici et quand je lis ou que je joue aux cartes ou aux dames avec les enfants, la tante me repete sans cesse:" Marietta, va te reposer un peu devant la tele, tu dois etre fatiguee". Moi, c est de regarder la tele pendant 4h qui me fatigue! Les Armeniens sont tres fiers de leur culture parce qu' a chaque moment de leur histoire ils ont ete conquis par des peuples differents (Arabes, Mongols, Byzantins, Turcs, Russes) et ont du lutter pour conserver leur langue, leur culture et leurs traditions. Ils me font d'ailleurs beaucoup pense au peuple juif qui lui aussi a conserve jalousement sa culture et entretient des liens forts avec la diaspora mais ca il vaut mieux ne pas le dire aux Armeniens! Toujours est-il que lorsque je suis arrivee en Armenie, je n ai cesse d entendre les gens me dire que leur langue etait "riche" car ils avaient beaucoup de lettres dans leur alphabet (38!!!) et beaucoup de vocabulaire! J ai l impression que cette fierte intempestive est un heritage de l epoque sovietique autant que des episodes noirs du passe car lorsque j etais en Russie, les habitants me disaient aussi que leur langue etait riche. A mon avis, cela vient de ce besoin sovietique de toujours se comparer (notamment aux Europeens) et de prouver qu ils sont aussi bien, voire mieux. A ce sujet, quelqu un m a soutenu que la meilleure et la plus fidele traduction de Shakespeare etait en... armenien. C est etrange car a Moscou il me semblait avoir entendu la meme chose mais a propos du russe... Malgre leur grande fierte pour leur culture, les Armeniens vont rarement dans des lieux de culture (cine, salle de concert, etc.) tout simplement parce qu il n y a plus d argent pour entretenir de tels endroits sauf dans la capitale. Mais ce qui est plus paradoxale, c est qu ils ne lisent pas non plus alors que ce n est pas cher et qu ils en ont tout le loisirs. La tele reste plus attrayante que tout, excepte le cinema parce que cela donne une excuse aux jeunes pour sortir et se rencontrer. Cette passivite vient certainement du chomage et de l inactivite generale et je sens qu elle commence deja a me gagner. L attachement pour leur culture tient davantage a un devoir de memoire pour les Armeniens qui ont peri dans les differents episodes tragiques de leur histoire et pour la grande Armenie, le pays de leurs ancetres. L autre jour, je dejeunais avec le maire de Kirants et celui-ci me disait que le berceau des Indo-Europeens se trouvait ... dans l ancienne Grande Armenie (Armenie actuelle plus Turquie orientale)!!! Il me semblait que c etait en Inde comme l'indiquait le nom. :-)) Ararat, le maitre de maison chez qui j habite (et oui, le militantisme nationale se retrouve jusque dans les prenoms), a apporte hier du roquefort. J etais tres etonnee qu il ait achete un fromage francais surtout qu ils n apprecient pas tellement les fromages forts. Il m a soutenu que c etait un fromage armenien mais elabore "selon une technologie suisse". Il etait persuade que les moisissures vertes etaient dues a une herbe appelee "takhoun" en armenien qui a un gout anise mais j ai bien ete forcee de le detromper et de lui dire que c etait en fait du a des bacteries. J espere ne pas l avoir degoute a jamais de ce fromage. En tout cas, c est une bonne nouvelle pour mon affaire de fromage de chevre si les Armeniens aiment le roquefort. Traditionnellement, les Armeniens n aiment pas le fromage de chevre car ils estiment qu il a une odeur et un gout trop fort mais je crois que c est parce que le fromage vendu n est pas de bonne qualite et l odeur vient davantage du melange entre les laits de vache, brebis et chevre. En plus, il semblerait que le lait des chevres alpines aurait un gout moins prononce que celui des chevres locales. Mes semaines sont toujours aussi calmes car il est tres difficile d organiser quelque chose ici. Je suis allee rencontrer la directrice de l office du tourisme mais elle etait toute intimidee de parler a une Francaise et pas habituee a travailler en pro, du coup ca na pas ete tres fructueux. Apparemment, je suis arrivee au mauvais moment car ils recevaient des Americains qui avaient participe a la creation du centre de tourisme il y a 4 ans. Alors que j etais venue pour mon histoire de fromage, je me suis retrouvee a traduire de l anglais vers le russe car le traducteur officiel ne pouvait pas etre partout a la fois et a donner des conseils en broderies et couture sur les produits qui etaient susceptibles de plaire le plus aux touristes... C est souvent comme ca en Armenie, on sait pourquoi on vient mais on ne sait jamais quelle tournure vont prendre les choses.

A bientot, Marie

Arrivee en Armenie

Barev dzez ! (=Bonjour)

Je suis arrivee en Armenie il y a deux semaines. Le stage se revele etre TOTALEMENT different de ce que je pensais. Je suis descendue dans la capitale pour rencontrer l asso avec laquelle mon asso en France travaille. Ils m ont tres bien accueillie mais alors que je devais tracer directement a Idjevan en province, ils m ont retenue toute la semaine. C est comme ca en Armenie, tout prend plus de temps que l on ne pense et mieux vaut anticiper.

Je suis arrivee dans ma famille d accueil a Idjevan pour Paques. A cette occasion, les Armeniens ont l habitude de faire germer des cereales et au moment de paques l herbe atteint environ 10 centimetres. Ensuite ils font cuire des oeufs dans l eau, les peigent de couleur differentes et les disposent autour de l herbe dans une assiette. C est tres joli.

Sinon, je ne travaille pratiquement pas. Je suis allee mardi avec le consultant de l asso ds le village de Kirants pour voir la fromagerie et j y suis retournee jeudi quelaues heures. Mercredi le veto est alle faire sa visite de routine mais il s est bien garde de me le dire. Ils ne veulent pas que je rencontre les fermiers. En fait, l asso en France a impose un stagiaire car ils n avaient plus de nouvelles du projet (je ne sais pas dou vient ces relations houleuses) et du coup je suis vue comme une geneuse par les gens d Erevan (la capitale). Tout le monde est tres gentil avec moi mais on ne fait rien pour me faciliter la tache. Vahe, le veto, m a dit qu il etait tres occupe et qu il organiserait une rencontre avec les fermiers en juin. Je lui ai dit que je ne pouvais pas attendre jusque la et que j allais m arranger avec le maire du village de Kirants pour organiser des visites. Comme ca je serai independante et sans personne pour entraver mes faits et gestes.

Pour le moment, j ai vu la fomagerie experimentale. Ils ont commence a faire du fromage et esperent le vendre sur le marche et avec les benefices financer les travaux de la future fromagerie. Les conditions sont plutot primitives: pas de temperature dans le batiment, juste deux cuves, l electricite et un vieux thermometre datant de 1955 pour controler la temperature du lait!! Question hygiene c est pas encore ca. L apprenti fromager fume en attendant que la cuve chauffe alors qu il a ses gants en latex. Et apres il va plonger son gant dans le lait!

Quand j ai ete prise en stage en France, j etais censee etre coordinatrice du projet, transmettre l info entre les differents acteurs du projet et faire avancer les differents ateliers (fromagerie, asso de producteurs). En fait, il se trouve qu ils soccupent tres bien du projet sans moi et de toute facon sans budget et sans autorite, je suis un coordinateur de rien du tout. Du coup, mon role consiste a informer l asso en France et a faire une etude de marche pour le fromage. C est interessant mais un peu frustrant car mon travail ne sera utile que dans un an quand la fromageire sera prete. J aimerais aussi structuer l asso de producteurs mais je sens des reticences. Les gens d erevan veulent tout controler de A a Z. Finalement, cela ne regle pas tous les pbs de travailler avec une asso locale, ca en cree meme de nouveaux! Il y a deja le probleme de qui aura le plus de pouvoir entre l asso du Nord et l asso locale! C est vrai que des Armeniens sont mieux place pour comprendre la mentalite du pays et faire avancer le projet mais les gens qui travaillent dans les associations sont issus des villes et ne font pas confiance au monde paysan. Ils preferent d ailleurs depenser davantage d essence en faisant des allers-retours chaque jour entre la capitale et le village plutot que de dormir sur place!! Ca montre bien le peu de consideration qu ils font des fermiers!

J ai vu l Azerbaidjan car le village de Kirants est tout pres de la frontiere. D ailleurs, desfois il y a des tirs des deux cotes de la frontiere. Il parait meme que dans le village de Berqaber ils ne peuvent pas recolter leurs cultures car les Azeris font expres de leur tirer dessus a ce moment la. C est pourquoi l implantation d une fromagerie a Kirants est un symbole important.

Ma famille d accueil est tres sympa. Ils parlent tous russe meme les enfants car ils ont tous la tele et les magazines en langue russe. L hospitalite est quelque chose de tres important en Armenie. C est pourquoi ils voulaient absoluemnt aller avec moi au village de Kirants pour dire que je n etais pas une espionne et qu ils fallaient bien me traiter car je venais pour les aider! j ai reussie a les en dissuader. Par contre, comme le pere travaille a la mairie d Idjevan, il connait beaucoup de monde et se fait un devoir de m aider dans mon stage. C est comme ca qu il m introduit aupres de mes differents interlocuteurs. J avoue que c est bien pratique car les Armeniens sont un peu comme les Russes: un peu rustres au debut quand ils ne connaissent pas les gens, surtout vis a vis dun etranger.

En attendant de vos nouvelles
A bientot,

Marie