jeudi 26 juillet 2007

Vie quotidienne dans le marz de Tavouch

MAI 2007

Bonjour à tous,

La cuisine arménienne est excellente. Les engrais étant très chers, pratiquement tout ce qui est produit en Arménie est de fait bio. Et à prix modique. Les Arméniens ont l’habitude de faire eux-memes leurs conserves et je mange donc souvent de délicieuses confitures faites maison avec les fruits du jardin ou les fruits de la foret. Ils font aussi de délicieux fruits confits baignant dans du sirop que ce soit avec les griottes, les peches, les figues et meme les noix !!! Ils produisent egalement un petit vin maison pas mal du tout (j’y connais absolument rien mais je le trouve bon, c’est l’essentiel). Quant au lait, ça fait depuis ma petite enfance que je n’ai pas bu un lait encore tout imprégné du gout de vache et les tomates ont le goût de tomates. C’est la ou se rend compte que la nourritue en France n’a plus beaucoup de gout (je parle des produits de base). Je mange aussi une très bonne soupe aux orties, excellent que ce soit pour le gout ou pour la santé et mon plat préféré est les dolma, feuilles de vigne farcies avec de la viande et du riz. Hummmmmmmmmmmm ! Je mange aussi des dattes fraîches toutes droit venues d’Iran, le pays voisin et les grenades poussent à foison dans ma région.

Je suis épatée par le temps que les femmes arméniennes passent à cuisiner et entretenir la maison. Cela n’est possible que parce que la femme ne travaille pas ou alors parce qu’elle est secondée par sa belle-mère ou sa belle-sœur (la femme vit avec les parents de son mari) car sinon jamais leurs maris n’auraient la chance de manger des plats aussi élaborés. Une fois, Ararat chez qui je vis, a fait un beau compliment à sa femme en me disant que les femmes arméniennes étaient des travailleuses endurantes et émérites. Sa femme a riposté : « tu crois qu’en France les femmes ne s’occupent pas de la maison ?! ». « Oui, mais elles n’ont pas à s’occuper de familles aussi nombreuses. » Je crois que c’était sa façon à lui de remercier sa femme pour tout ce qu’elle faisait et d’obtenir son assentiment pour continuer à se mettre les pieds sous la table. Ici, les femmes sont habituées à servir les hommes et la petite Mara de 8 ans sert son petit frère de 3 ans comme si c’était aussi évident que de respirer. La nouvelle génération commence à changer et on peut trouver quelques hommes qui aident un peu plus leurs femmes ou qui ont moins de prejuges.

Ainsi, mon taxiste habituel qui m emmene dans les villages, Rafik, m a fait conduire l autre jour sa voiture « pour apprendre ». J etais assise a la place du passager et je tenais le volant mais ce n etait pas vraiment pratique pour le manipuler et pour la visibilite. La prochaine fois j essairai avec les pedales mais il vaudra mieux trouver un autre endroit que la route car j ai peur de creer une collision et qu on aille tout droit dans la riviere.

Je mange à toute heure du jour car les horaires sont inconnus ici. Dès que l’on se trouve en compagnie d’amis, de parents ou d’une compagnie quelconque il faut s’occuper la bouche soit en mangeant, en buvant, ou alors en fumant mais pour l’instant je n’ai encore vu aucune fille en province fumer. Ce qui signifie que mon estomac est constamment en plein travail de digestion et c’est bien d’ailleurs la seule chose qui travaille chez moi J) Si cela fait seulement trois heures que je suis occupée à quelque chose, on me dit tout de suite de venir manger car je dois etre morte de faim ! et les Arméniens sont très rusés car ils arrivent toujours à me faire manger et qui d’une glace, qui d’un concombre, qui d’une pizza arménienne (« Juste pour gouter ! »), qui des loukhoums, qui d’un jus, qui de khorovats (équivalent du shashlyk ou du barbecue pour les non-russisants), alors qu’au départ j’avais la ferme intention de ne boire qu’un café noir sans sucre. Idem pour la boisson et je dois dire que je suis bien contente d’avoir fait un stage boisson et corruption à Moscou, sinon je ne sais pas qu’elle image dépravée j’aurais donnée ici, complètement saoule à rouler sous la table. Mais ça va, je gère. Je tiens meme mieux l’alcool que le maire de Kirants J)

Je ne reconnais pas la ville tant il y avait de gens dans la rue. Le soleil a délivré tout ce monde qui se cachait bien au chaud. Presque tous les soirs un concert avec les grandes stars de la chanson populaire arménienne etait donné sur la place centrale. C’est normal, nous étions en pleine période électorale et les politiciens sont vraiment très malins. Ils ont bien compris que personne ne viendrait écouter leur discours si celui-ci n’était pas suivi d’un évènement populaire. Tous les partis de droite comme de gauche agissent de la sorte, la seule différence tient au fait que les petits partis font croire qu’il y aura un concert alors qu’en fait ils n’en ont absolument pas les moyens. Et les gens rentrent dépités chez eux, sans concert. Maintenant que les élections sont terminées, la ville a repris un rythme plus calme mais la ville sembl ;e deja plus jolie avec ses arbres et la boue qui a disparu et les gens sortent plus volontiers dehors remplir les cafes. Le maire de Kirants m’a dit en rigolant : « L’année prochaine il y a les élections présidentielles et là aussi on aura des concerts et l’année suivante ce sera les élections municipales, mais alors là il n’y aura pas de concerts, c’est sur, car les maires n ont pas autant d argent. »

Le maire de Kirants se déplace partout avec le tampon officiel de sa mairie car n’importe qui peut lui demander à tout moment un papier officiel bidon pour une quelconque affaire. J’appelle ça la « mairie ambulante ». La dernière fois, il se trouvait au café en train de déguster une glace et il a écrit un papier au « pied levé » et a sorti son tampon de sa poche et hop !, c’est dans la poche. Le maire me dit que les Arméniens arrivent toujours à se procurer un papier officiel quel qu’il soit, meme le plus absurde. A ce sujet, on m’a rapporté une anecdote assez marrante. Un Géorgien voit une voiture à Moscou qu’il veut acheter. Il demande quel type de document il faut fournir et le gars lui répond qu’il doit donner un papier qui prouve qu’il a servi pendant la Première Guerre mondiale. Le Géorgien rentre dans son pays pour se procurer le document et au bout de quelques jours revient à Moscou mais la voiture a été vendue. Le vendeur lui répond qu’il a vendu la voiture à un Arménien qui avait sur lui un papier qui prouvait qu’il avait servi dans les Alpes.

Dimanche dernier, je suis allée avec ma famille d’accueil à un matar. Le matar est une ancienne pratique paienne qui consiste à sacrifier un animal à Dieu pour le remercier soit d’une bonne chose qui est arrivé, soit lorsque quelqu’un a échappé à un malheur. Bien sur, le cérémonial chrétien a été intégré à la cérémonie originelle pour lui donner un air de respectabilité. Le matar auquel je suis allé était en l’honneur d’un couple qui s’est marié tardivement et qui ont eu récemment un fils. Une cérémonie est dite dans une église dediee a ce type de ceremonie puis on allume des cierges et enfin on sacrifie dehors un mouton ou bien un coq, suivant les moyens de la famille. L’animal sacrifié est dépecé et est ensuite servi en khorovats (barbecue si vous avez bien suivi jusque là) lors du repas qui regroupe tous les convives dans de joyeuses ripailles. Lors du sacrifice de l’animal, il est habituel de bénir les convives en dessinant une croix sur leurs fronts avec le sang de la bete. Malheureusement (ou pas), je n’ai pas pu assiter au sacrifice et à la cérémonie car nous sommes arrivés un peu après mais je suis allée tout en haut de la montagne voir l’église. C’est une toute petite église en ruine ou le toit a totalement disparu. Des cierges sont cachés sous une pierre et les personnes qui rentrent se servent, allument les cierges et les collent contre le mur grace à la cire encore chaude. Ce qui donne pour effet que les murs sont tous noirs en raison de la suie et de la cire fondue. Des portraits en platre de la vierge et du Christ à moitié brisés sont placés contre les murs, donnant un air de naufrage à l’ensemble. Puis, il est d’usage de laisser quelque chose derrière soi en souvenir. Ici, les gens avaient accroché un mouchoir ou un tissu quelconque sur les branches d’un arbre qui traversait l’église, mais on pouvait trouver absolument de tout et j’y ai meme vu une paire de chaussures toutes neuves. Nous n’avions rien à laisser derrière nous et j’ai failli proposer de laisser le téléphone portable. Le matar est vraiment une très jolie cérémonie ne serait-ce que parce qu’il vient de la profondeur des ages et qu’il est empreint de poésie, mais écologiquement ce n’est pas très viable. Ils sont actuellement en train de construire une nouvelle église juste à coté. Ils voulaient reconstruire l’ancienne église mais elle était tellement en ruine que ce n’était pas possible ; et la détruire totalement pour refaire une nouvelle sur les fondations c’est spirituellement inconcevable.

Pratiquement toutes les crèches ont fermées à l’indépendance faute d’argent pour payer le personnel. C’est pourquoi le petit Razmik de ma famille d’accueil reste à la maison. Je pensais au début que son développement psychique et mental en patissait mais en réalité il est très éveillé. Ses soeurs n’ont cours que le matin et il a donc tout le loisir de jouer avec elles l’après-midi. En outre, les voisins et les parents viennent rendre visite régulièrement et il voit beaucoup de monde. Il a trois ans et demie et c’est l’age idéal pour etre réceptif à de nouvelles expériences. Il commence à connaitre quelques mots en français et répète après moi quand je parle au téléphone. Il dit aussi beaucoup de mots en russe puisque c’est la langue que nous utilisons pour communiquer. L’autre jour il disait : « Bonjour eto Barev » (« Bonjour ça veut dire Bonjour » sous-entendu en arménien) en mélangeant les trois langues.

Razmik est le petit dernier de la famille et de surcroit le seul et unique garçon. C’est pour cette raison que tout lui est passé et il fait régulièrement des caprices. Ca lui arrive de manger cinq glaces par jour s’il en a envie et ensuite il pleure toute la nuit parce qu’il a mal au ventre. Ses soeurs sont très patientes et se laissent frapper avec assez de bonne volonté jusqu’au moment ou elle ne peuvent plus supporter cette situation et lui font très mal, dans un excès d’énervement. La mère arrive alors et fout une belle paire de claque, à la fille bien sur. Ce qui me parait surtout incroyable c’est qu’il frappe meme sa mere et sa grand-mere et leur crie de se taire et l’unique réaction de la mère est d’esquiver un sourire attendri à son cher rejeton.

L’autre jour, le père a acheté un vélo à son fils. Ils ont un jardin mais je ne sais pas pourquoi Razmik fait du vélo dans la maison, enfin il essaye car il se cogne toujours aux meubles. Mais son principal but est de nous foncer dessus. Lorsqu’il fait beau, la porte de la maison est ouverte qui donne sur le balcon et Razmik pédale alors sur le balcon. Hier, il est tombé dans les escaliers qui descendent vers le jardin. La mère m’a appris la nouvelle quand je suis rentrée et m’a dit « heureusement, Dieu l’a sauvé encore une fois (il est déja tombé auparavant). Nous allons chercher un coq et célébrer un matar pour remercier Dieu de l’avoir sauvé. » Je trouve que cela aurait été plus simple et plus sécurisant de mettre dès le départ le vélo dans le jardin et qu’il n’en fasse qu’à cet endroit. Aujourd’hui, Razmik faisait du vélo dans le salon et la porte de la maison qui donnait sur le balcon était ouverte...

Parfois Razmik fait semblant de fumer car à trois ans et demi il a deja bien compris qu’etre homme ici c’est obligatoirement fumer. Son grand-père lui a offert une cigarette la fois derniere, pour rigoler, et sa tante l’a lui a allumée à sa demande.

Sa soeur Mara à huit ans et cette année est la première année scolaire ou elle a des examens. Tous les deux ans, elle en aura et elle doit avoir de bons résultats pour espérer étudier gratuitement à l’université par la suite. Lourde responsabilité pour une petite fille de cet age et aucun droit à l’erreur. Elle avait quitté sa chaise un instant, laissant ses exercices sur la table, lorsque Razmik s’y est installé et a décidé d’y dessiner un magnifique ours. La mère a simplement rigolé.

En Arménie, un repas ne se passe jamais sans la présence d’un « tamada », le maitre de cérémonie, qui se doit de porter des toasts à la santé des convives, à leurs succès, à leurs familles, et tout ce que l’on peut imaginer. Le tamada peut également passer la parole à un autre convive afin qu’il porte lui aussi un toast et cela peut durer des heures. Les toasts habituels sont bien évidemment dédiés à la santé des convives puis généralement le deuxième ou troisième toast aux parents et aïeuls que l’on vénère car ils nous ont donné la vie, puis le suivant aux enfants qui sont particulièrement choyés en Arménie. Sans oublier le classique toast issu de l’ère soviétique consacré à l’amitié entre les peuples. Une anecdote qu’on m’a rapportée raconte que les Géorgiens dédient le premier toast à leurs parents parce qu’ils ont peur d’être trop saouls après et d’oublier. Une fois ce devoir accompli ils peuvent donc boire autant qu’ils le désirent. Les Arméniens au contraire dédient le dernier toast aux parents (mais ce n’est pas vrai comme je viens de le dire), ce qui signifie qu’ils tiennent mieux l’alcool que les Géorgiens puisqu’ils n’ont pas peur d’oublier !

Il y a ensuite des toasts plus personnels qui sont la pure création de chaque convive et qui permettent d’apprécier la personnalité et l’esprit de chacun. Ainsi, Varak porte toujours un très beau et très poignant toast qui est le suivant : « Il y a deux moments ou l’on ne sent pas que l’on nous embrasse dans la vie. Le bébé ne sent pas quand sa mère l’embrasse et la mère défunte ne sent pas lorsque son fils l’embrasse sur son lit de mort. » Assez troublant surtout lorsque l’on sait qu’il a perdu sa mère à dix-huit ans. Mon hote, Ararat a fait aussi un toast très judicieux je trouve. « Buvons à notre santé mais aussi à notre chance car il ne suffit pas d’être en pleine santé dans la vie. Les passagers du Titanic aussi étaient en très bonne santé mais ils se sont noyés parce qu’ils n’ont pas eu de chance ».

Lorsque je dis aux gens que je suis fille unique, ils disent « ha ! Quel malheur ! Que c’est triste ! ». Et puis ils me demandent si j’ai un père et une mère, sans doute parce qu’ils pensent que je suis orpheline. La famille est très importante et les enfants sont tres choyés. Ils pincent les joues de l’enfant pour signifier qu’il est en pleine santé et lui font toutes sortes de bisous baveux comme s’ils voulaient les manger. L’autre Française d’Idjevan, que je viens seulement de rencontrer (j’ai fais de la résistance ; je ne voulais pas m’agglutiner immédiatement à la « communauté française » d’Idjevan), a deux enfants dont un bébé né fin mars. Elle a absolument horreur de ces bisous baveux, peu hygiéniques selon elle, et lorsqu’elle a présenté le bébé aux collègues de son mari, elle a bien stipulé qu’il était interdit de la bisouter. C’était particulièrement fendant de voir un des collègues mettre son visage à 5 centimètres de celui du bébé et lui faire des bisous virtuels en claquant la langue comme s’il dégustait un bon plat.

J’étais dans un taxi, revenant d’une visite d’agriculteurs, quand celui-ci me pose la question rituelle de combien j’ai de frères et de sœurs et faisant l’habituelle mine consternée en entendant ma réponse. Puis il me dit que ce sont les Arabes qui font chez nous beaucoup d’enfants. Je réponds oui, puis après un petit silence je lui dis que la famille arménienne traditionnelle a aussi beaucoup d’enfants, pensant lui faire un compliment sachant à quel point la famille est importante ici. Il me fait alors cette étrange réponse : « Non. Nous sommes chrétiens, nous. » !!!

Assez souvent lors des fameux toasts déclamés pendant les diners, j’entends des vœux dédiés aux gens « du monde entier, qu’il soit turc ou noir, la nationalité n’a pas d’importance ». Mais lorsque je pose la question dans une discussion, les Arméniens me répondent généralement qu’ils n’aiment pas les Musulmans car ils ont toujours voulu les convertir et les dominer. Les relations sont toutefois plus aisées avec les Azéris qu’avec les Turcs car ils ont cohabités ensemble pendant des décennies au sein de l’ex-URSS et certains gardent de bons contacts. Cependant, le blocus avec l’Azerbaidjan et la Turquie fait de l’Arménie une île sans mer, isolée de tout. Pour se rendre de Turquie en Arménie en bus il faut aller tout au Nord en passant par la Géorgie. Sans compter que depuis que les relations se sont détériorées entre la Géorgie et la Russie, il n’est plus possible pour les Arméniens de passer en Russie par la Géorgie, ce qui est un véritable problème économique compte tenu de l’importante communauté arménienne présente en Russie. Le seul voisin avec qui les relations sont bonnes est l’Iran, bien qu’ils soient musulmans et qu’il aient longtemps dominé les Arméniens par le passé. Aujourd’hui, des projets de coopération émergent ente les deux pays. Mais je n ose pas trop penser a ce qui se passerait si une guerre eclatait en Iran.

De nombreux chanteurs populaires arméniens par le passé ont chanté en langue russe et on peut dire que les Arméniens restent très russophiles et russophones, plus que je n’osais l’espérer. A ma grande surprise, certains chanteurs ont également traduit leurs chansons en turc, chansons qui parlent naturellement du génocide et de la patrie perdue, afin que les Turcs puissent entendre ces paroles et ne pas oublier. Mais je n’arrive pas à savoir si ces chansons parviennent vraiment en territoire turc et si elles sont entendues.

J ai encore dix mille choses a dire mais ce sera pour une prochaine fois. En tout cas, je vous embrasse tous bien fort.

Marie

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