jeudi 26 juillet 2007

Une recherche de logement ordinaire a Idjevan

MI-JUILLET 2007

Ma recherche d’appartement a vraiment eu un coup de pouce lorsque j’ai faite la rencontre de Khatchik. Il devait me donner une lettre que je devais transmettre à une connaissance commune à Erevan. Aussitôt, sans avoir prononcé un mot, il me dit : « Vous recherchez un appartement ? Je vais vous aider. » Je me suis alors sentie envahie par un sentiment de reconnaissance pour Nvard, qui avait du lui parler de mon problème lorsqu’elle lui avait demandé de me rencontrer. En réalité, Nvard n’est absolument pas à l’origine de cette initiative. Lorsqu’elle l’a appelé, Khatchik lui a demandé : « Marie ? C’est cette fille qui recherche un appartement ? » - « Comment tu le sais ? », a demandé Nvard incrédule. – « Tout se sait à Idjevan. » Le pire, c’est qu’il ne vit même pas à Idjevan mais dans un village juste à coté. Cela me fait l’effet d’être entourée de psychomaniaques en puissance.

Le lendemain, Khatchik me téléphone et, très fier, m’annonce qu’il a trouvé quelque chose pour moi. Nous nous rendons dans une maison chez l’habitant, tout ce que je ne voulais surtout pas. La maison est pas mal mais le prix est élevé. Khatchik me dit qu’il veut me trouver un logement convenable pour 30 000 Drames, pas plus. Sur mon insistance à loger dans un appartement, il me conduit chez des gens possédant un appartement qui est vraiment très mignon mais pas de chance, il n’y a pas le gaz et l’argent manque pour faire les travaux. Je proposerai bien d’avancer plusieurs loyers pour qu’ils fassent les travaux mais, d’après mon peu d’expérience, j’ai peur que les travaux ne soient pas commencés lorsque je retournerai en France. En attendant, nous sommes kidnappés par les voisins de ce propriétaire – qui sont par ailleurs ses amis – pour le déjeuner. Le repas commence dans une certaine gêne ou chacun s’observe pour finir dans une grande gaîté causée principalement par les nombreux toasts dédiés à l’amitié franco-arménienne. Les voisins ont entre temps téléphoné à leur nièce pour qu’elle prenne sa pause déjeuner avec nous car elle est diplômée de la faculté de langues étrangères et parle parfaitement français.

Puis, le propriétaire de l’appartement que nous avions visité me propose d’aller voir sa maison car il y a plusieurs lits et il peut m’héberger sans problème. Toute la petite troupe des voisins nous accompagne. Là, fatigués par la cote, le soleil de l’après-midi et la vodka, les hommes tombent sur les chaises avancées par la maîtresse de maison. Khatchik me demande si je veux qu’il m’accompagne pour la visite de la maison mais je vois bien que cela serait cruel de le faire lever de sa chaise. Après l'inspection des lieux, la maîtresse de maison couvre la table de multiples mets et pour la seconde fois nous festoyons avec la vodka bien sur et les voisins, qui ne sont plus tellement les voisins d’un strict point de vue sémantique. Onik, le maître de maison commence à me raconter sa vie, me dit qu’il a 4 filles mais que avec sa troisième femme ici présente, il n’a pas d’enfant. Sa femme crie de la cuisine, une oreille toujours attentive : « Qu’est-ce que tu vas raconter notre vie privée ? ». Puis les toasts se suivent sans se ressembler, Khatchik a de plus en plus de mal à articuler, les toasts sont de plus en plus longs. Mais je ne m’en plains pas, cela me laisse du répit. J’ai juste peur de m’endormir par l’effet conjugué de la vodka et de la voix berçante de Khatchik. Personne ne l’écoute sauf moi (en réalité je n’écoute que sa voix car j’ai renoncé depuis quelque temps à trouver du sens à ses paroles) et trois conversations ont lieu en même temps. Les convives autour de la table se serrent la main ou font passer les plats devant le visage de Khatchik me le cachant, mais lui, imperturbable comme si rien autour de lui n’existait, continue sa mélopée. « Tu es mon sœur ! Euh, ma sœur. » Puis, un des voisins me confie que d’habitude il ne boit pas mais qu’aujourd’hui c’est un jour spéciale. Et il balance ses mains, claque des doigts et émet un sifflement comme s’il voulait danser sur la musique arménienne qui passe en ce moment à la radio. A ce moment, sa femme restée à la maison appelle pour savoir ce qu’il peut bien foutre. Onik me répète alors pour la dixième fois que je suis toujours la bienvenue, même si je n’habite pas chez eux, car l’argent n’a pas d’importance et que j’aurais une amie en la personne de sa femme. Sa femme s’énerve : « Tu as fini, oui ? Tu vas pas le répéter des milliers de fois !! » Le voisin « danseur » porte alors un toast à Margaretta, la maîtresse de maison, qui est aussi sa sœur. J’admire la patience et la compréhension des femmes arméniennes qui, seules personnes de l’assemblée à ne pas avoir bu, supporte des heures durant les élucubrations et les discours dépourvus de sens de ces frères, oncles et maris.

L’heure du départ sonne. Moi qui pensais que cette petite visite allait prendre 15 ou 20 minutes, je me suis bien fait attraper car 5 heures se sont écoulées. Le voisin « dansant » veut qu’on continue la journée dans un café mais j’ai la force de refuser. J’ai des choses à faire quand même !

La semaine suivante, Khatchik appelle à nouveau. Il a trouvé une autre maison avec habitant. Il n’a décidément pas compris que je préférai un appartement. Mais bon, on y va. Nous partons en voiture avec deux autres messieurs que je ne connais pas. Je lui dis que j’ai sans doute trouvé un appartement. « Qui te l’a trouvé ? », demande Khatchik d’un œil jaloux, comme s’il voulait être mon seul bienfaiteur et fournisseur de logement. Nous arrivons dans une maison magnifique, genre chambre d’hôte. Je savais qu’il existait des maisons comme ça qui accueillait des touristes mais j’avais quand même du mal à imaginer cela à Idjevan. La maîtresse de maison est très gentille, la maison coquette. Dans la cuisine, elle fait pousser une petite bibliothèque sur elle-même comme dans les films d’espionnage et j’aperçois derrière une salle, genre cave de La grande vadrouille ou Louis de Funès égorge son cochon pour le vendre après au marché noir. Toutes les maisons arméniennes en sont équipées et c’est là ou l’on fait les confitures, les conserves pour supporter le long hiver, que l’on dépèce les animaux pour en faire des brochettes. C’est là également que l’on prépare le coq des matar. Puis, nous allons nous asseoir dans le jardin pour boire le café. A la question du prix, ils me répondent qu’ils ne savent pas et que je peux même y vivre gratuitement. Cela sent l’arnaque mais je n’arrive pas à débusquer le lièvre. Ils ont trois adorables chats, ce qui est pour moi un critère très positif dans l’opinion que je me forge des gens. Mais je sais bien qu’il n’est pas infaillible. Et ils soignent un hérisson qu’ils ont trouvé blessé dans leur jardin. « S’il était arrivé dans un autre jardin, les gens l’auraient jeté, mais pas nous. C’est Dieu sans doute qui l’a mené jusqu’à chez nous parce qu’il savait qu’on s’en occuperait. » Bref, tout est idyllique chez ces gens. Ca y est, j’ai trouvé !!! Je ne peux pas en être sure à cent pour cent mais je crois bien que son fils a des visées sur moi. Juste comme Française. Petit à petit la discussion débouche sur la question rituelle de est-ce que je pourrais vivre en Arménie et me marier ici. Je leur explique alors que c’est impossible, «chez nous» l’homme aide la femme. « Et seulement pour ça ? », éclate de rire le fils. J’explique patiemment que « chez nous » l’homme cuisine pas seulement parce qu’il faut mais aussi parce qu’il aime faire la cuisine. (Enfin, certains). Je sens le regard dubitatif de Khatchik. Puis, il me sort : « Bien sur, moi comme tu me vois, tous les soirs, je fais la vaisselle et je repasse. » Et il éclate de rire. « Si vous riez comme ça, c’est que vous ne devez pas le faire souvent. » Le fils me répond à son tour : « Bien sur, moi, je sais cuisiner. Lorsque j’étais étudiant à Erevan, je faisais ma cuisine tout seul. Et si ma femme est malade, je peux lui faire la cuisine. » - « Oui, mais chez nous, le mari fait la cuisine pas seulement lorsque la femme est malade. » Silence. Je me sens protégée par une immunité en posant comme condition préalable au mariage, la participation à 50% aux taches ménagères de mon futur mari. La mère me demande alors si j'aime les framboises et sur ma réponse positive demande à son fils de m'en apporter. Le fils rechigne, ne veut pas se lever. Sa mère réplique alors : «Marie a dit que les hommes devaient aider.» La formule magique a été prononcée et le fils, bien que maugréant, se lève finalement et apporte les framboises récoltées du jardin.

J'ai finalement trouvé un appartement meublé et qui était pourvu du minimum vital pour vivre dans des conditions «normales». Mais ce n'est malheureusement pas grâce à Khatchik et je le sens désappointé. L'appartement est situé en centre ville, juste derrière l'université. Je n'ai pas l'eau chaude car apparemment la compagnie des eaux ne sait pas que quelqu'un vit dans cet appartement, ce qui permet à la propriétaire de ne pas payer pour la consommation d'eau froide. Mais ce n'est pas très grave, je fais chauffer l'eau de ma douche. Nous sommes en été et cela ne pose pas de problème. Par contre, je n'ose pas imaginer comment cela se passe l'hiver. J'ai un frigo mais la proprio ne le branche pas, je ne sais pour quelle raison. Du coup, je l'utilise simplement comme garde-manger et j'apprends à faire comme une bonne partie des Arméniens, sans frigo. Je fais mes courses seulement pour quelques jours et je cuisine tout de suite les aliments qui ont besoin de l'être. Je n'ai pas de machine à laver et curiosité architecturale de l'appartement, les fenêtres du balcon ont été installées à même la façade en ciment, laissant un écart de 10 à 15 centimètres entre la façade et les fenêtres. Mais je m'estime incroyablement chanceuse car j'ai le gaz, un fer à repasser, un four tout neuf, une stéréo, une télé, un dvd, un téléphone et l'eau courante dans les toilettes 24 heures sur 24, ce qui me dispense de verser un seau d'eau dans la cuve des WC pour remplacer la chasse d'eau inexistante. En outre, l'eau courante des toilettes est aussi forte que le bruit d'une cascade et lorsque je suis le soir dans mon lit elle me berce et m'aide à m'endormir. Nous avons maintenant emménagé depuis une semaine avec Anoush et nous allons faire une pendaison de crémaillère, chose nouvelle pour Anoush. Malheureusement tous nos invités sont pratiquement des étrangers, nos amis arméniens étant soit en couple et trop occupés par les taches ménagères, soit pas encore mariés mais ne vivant pas à Idjevan même et trop timides pour être à l'aise au milieu de plein d'étrangers.

Marie

1 commentaire:

sanandra a dit…

Je découvre ton blog et je trouve que tes récits sont vraiment très intéressants à lire.
Je ne sais pas si tu es toujours là bas vu qu'il n'y a plus de récit après juillet 2007 mais j'ai apprécié la lecture de tes "aventures"